© S. Brion
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Une comédie musicale dans le temple de l’art lyrique ?! Diable, ils sont devenus fous s’exclameront les puristes ! Mais sommes toutes rien que de très logique pour l’Opéra-Comique au regard de sa tradition, le parlé-chanté et le théâtre musical, dont Offenbach fit son miel, ce fut l’âge d’or de l’opérette, et que la comédie musicale en est le dérivé à partir de l’entre-deux-guerres. Inutile donc de faire la fine bouche devant cette audace. Et quand au voit le résultat, ébourrifantissime, on aurait tort de barguigner. En confiant au duo infernal Valérie Lesort et Christian Hecq les clefs de la boutique pour cette mise en scène horrifique, à Arthur Lavandier une nouvelle orchestration au swing d’enfer, à Maxime Pascal La fosse et une distribution épatante pour compléter le tout, le pari est réussi haut la main. Très haut même.
Or-donc, L’Opéra-Comique en ce début d’hiver se met au vert saignant. La Petite Boutique des horreurs, ce fut deux films cultes (1960 et 1986), et une comédie musicale de 1982, jouée dans le off-off Broadway de New-York, écrite par Howard Ashman et composée par Alan Menken, ce dernier compositeur pour Walt Disney. C’est cette dernière version qui est jouée là, dans une adaptation française de 1985 d’Alain Marcel (jouée au Théâtre Déjazet en 1986) et une orchestration aujourd’hui plus étoffée par Arthur Lavandier mais toujours respectueuse des influences musicales jazzy, pop, country et rock et surtout du gospel. Une musique issue de la rue et des minorités. Parce que mine de rien, La Petite Boutique des horreurs parle bien de ces petites gens et de leur rêve d’émancipation, cette envie d’aller voir ailleurs, sortir du ghetto, être un jour « au cœur du vert » comme le chante si bien Audrey, qui ne croit pas si bien dire en ce qui la concerne… Ce qu’il y a de formidable c’est que chacun ici des personnages, stéréotypés comme il se doit, est caractérisé par une tonalité musicale qui lui est propre signant un multiculturalisme étonnant, un vivre ensemble que réunit dans ce ghetto la misère et la lutte des classes. Fable trash et écolo avant l’heure sans doute, mais également fresque sociale évidente.
Valérie Lesort et Christian Hecq réalisent une mise en scène d’une grande élégance, toute simple en apparence, mais fidèles à leurs mauvaises habitudes de gamins facétieux et imaginatifs, c’est du gore grand cru ! Du grand-guignol certes, mâtinée de série B, mais pas du n’importe quoi, n’importe comment. Respectant le dessein de l’œuvre incontournable quasi à la lettre, et des codes afférents au genre, ils lui apportent leur touche unique et reconnaissable entre toute, se refusant à la technologie pour l’illusion théâtrale pure, le « si magique » de l’enfance et des grands rêveurs. Et ça marche du feu de dieu. Cette plante carnivore, qui n’est pourtant qu’une gigantesque marionnette, annonçant l’apocalypse, bouffant de la chair humaine comme des Petits Lu, avant de s’attaquer à l’Opéra-Comique et bientôt Paris, on y croit dur comme fer, comme des gosses à Guignol. Sans en rajouter dans les effets, jamais, ils vous distillent l’horreur avec parcimonie, lentement mais surement, et l’on se dit en tremblant, excité comme un boisseau de puces, que le pire est toujours à venir. Avec ça, une direction d’acteur au cordeau, s’amusant des stéréotypes qu’ils détourent et détournent avec soin et un humour pince-sans-rire, leur donnant plus de relief et de caractère qu’il n’y paraît. C’est délicieusement pop, fortement acidulé et saignant à cœur. Le diable étant dans les détails c’est à ceux-là, subtiles et impertinents, qu’on reconnait les pattes singulières et talentueuses de ces deux metteurs en scènes pour qui le théâtre est affaire d’enchantement aussi horrifique soit-il. Bénéficiant d’une distribution vocale venue de différents horizons musicaux, par ailleurs aussi excellents chanteurs que comédiens, de l’opéra au music-hall, en passant par l’opérette, c’est un camaïeux de voix qui ne détonne absolument pas mais caractérise chacun des personnages et donne à l’ensemble son originalité et sans paradoxe aucun, son unité. Il faudrait les citer tous, de la fosse au plateau, tant ils apportent à cette comédie musicale une lettre de noblesse, lui apportant la profondeur tant musicale, théâtrale et thématique qu’elle possède intrinsèquement. Et visiblement il y a une forte complicité et un bonheur évident d’être là, communicatif à la salle, à défendre ensemble cette drôle et géniale aventure psychédélique, osant chanter dans un final apocalyptique « laissez crever vos plantes ». La Petite Boutique des horreurs, c’est un grand bonheur, oui !
© S. Brion
La Petite Boutique des horreurs d’Alan Menken et Howard Ashman
Adaptation française : Alain Marcel
Nouvelle orchestration : Arthur Lavandier
Direction musicale : Maxime Pascal
Mise en scène : Valérie Lesort et Christian Hecq ( sociétaire de la Comédie-Française)
Décors : Audrey Vuong
Costumes : Vanessa Sannino
Lumières : Pascal Laajili
Chorégraphie : Remi Boissy
Marionnettes : Carole Allemand
Projection sonore : Florent Derex
Assistant musical : Alphonse Cemin
Chefs de chant : Alphonse Cemin, Pablo Campos
Conseillers artistiques-comédie musicale : Ludovic-Alexandre Vidal, Julien Salvia
Collaborateur artistique à la mise en scène : Florimond Plantier
Assistante décors : Amélie Meseguer
Assistante costumes : Laura Lemmetti
Stagiaire TNS lumières : Zoe Robert
Assistante chorégraphie : Julie Galopin
Assistant.e.s marionettes : Sami Adjali, Camille d’Alençon, Louise Digard, Romain Duverne, Laurent Huet, Einat Landais, Fabienne Touzi
Avec Marc Mauillon, Judith Fa, Lionel Peintre, Damien Bigourdan, Sofia Mountassir, Laura Nanou, Anissa Brahmi, Daniel Njo Lobé
Manipulateur de la plante : Sami Adjali
Danseurs : Ismaël Belabid, Julie Galopin, Joël Elysée Konan, Shane Santanastasio a.k.a Street Ish, Justine Volo
Orchestre : Le balcon
Du 10 au 25 décembre 2022
A 20h, le dimanche à 15 h
Opéra-Comique
Place Boieldieu
75002 Paris
Réservation : 01 70 23 01 31
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