© Vincent Pontet
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Au Théâtre des Champs-Elysées souffle une bourrasque de folie, qui vous décoiffe assurément. Et pourtant, d’une histoire de crève-la-faim, d’une chanteuse des rues se prostituant pour assurer sa subsistance, se livrant à un tyran, il n’y aurait pas de quoi rire. Oui, mais comme le souligne le metteur en scène Laurent Pelly, « plus c’est noir… plus c’est drôle. ». Et cette Périchole là ne le démentira pas. Fini le Pérou, nous sommes partout où règne la dictature. Banlieue grise et palais bling-bling. Et nos deux héros, zonards limites punk sans chiens, pleurent misère. Mais Laurent Pelly a le sens du théâtre et vous monte ça allegro, avec une énergie de coucou-suisse remonté à bloc. C’est fort drôle, parfois tendre, poétique aussi, et toujours à-propos. Les chanteurs sont dirigés au cordeau, formidables acteurs ici aussi, sans oublier les chœurs comme toujours avec Laurent Pelly assurant leur mouvement avec maestria, acteurs eux-aussi et bougeant comme pas deux. C’est d’ailleurs ça qui est aussi remarquable, combien tout est chorégraphié minutieusement, combien chaque geste n’est jamais laissé au hasard, mais vaut aussi bien qu’un discours. Jouant des contrastes entre la rue, haute en couleur, un peu cradingue, et d’une grande et joyeuse liberté, et le palais tout en miroir et dorure où les femmes sont des bimbos d’un même modèle, blondes peroxydées corsetées, entravées dans des robes aussi gonflées que leur bêtise et leur minauderie de garces méprisantes. On s’en souviendra longtemps aussi de la scène d’ivresse et du mariage qui s’ensuivit. Une soulographie d’anthologie épatante et jamais dans la caricature ! On ose même un peu plus loin un clin d’œil hilarant à Mozart avec quelques notes de La flûte enchantée devant l’hésitation de Piquillo à se pendre. Rossini n’avait-il pas surnommé Offenbach « le petit Mozart des champs Elysées » ? Juste retour des choses et bel hommage rendu. Laurent Pelly ne rate aucune scène attendue et entraîne avec lui une troupe d’élite qui visiblement s’en donne à cœur joie et embarque la salle avec elle. Et le compagnonnage avec Marc Minkowski, retrouvaille heureuse, est une valeur hautement ajoutée. Ce dernier mène à la baguette et tambour battant Les musiciens du Louvre, qui dans la fosse tout comme les chanteurs sur le plateau, crépitent et font des étincelles sans jamais négliger les mille et une nuance de leur partition. On les surprend même à chanter, un comble ! On le redécouvre encore ici, Offenbach et l’Opéra-Bouffe, derrière l’insolence et la satire, c’est d’un grand raffinement et Marc Minkowski nous le fait entendre et comprendre avec grande clarté. Périchole est une femme forte, puissante dirons nous aujourd’hui. Antoinette Dennefeld aussi fine comédienne que musicienne accomplie, belle voix au timbre clair, offre à son personnage une réelle sensibilité. Ironique et mordante dans l’air « Que les hommes sont bêtes » elle sait aussi être sensuelle, « tu n’es pas beau » est une vrai déclaration d’amour. L’air de la lettre est d’une profondeur, nécessité faisant loi, qui pourrait être tragique. Et dans la scène de la griserie elle est d’une justesse ébouriffante, et fort drôle avec ça, sans effort. Stanislas de Barbeyrac campe un Piquillo irrésistible, amoureux transi un peu dépassé par les évènements. Lui également allie à un sens du jeu affirmé, une voix puissante, claire et projetée sans effort. Son air « On me proposait d’être infâme » montre toute l’étendue de son talent. Laurent Naouri, baryton-basse, visiblement s’amuse comme un fou. Il est un vice-roi, tyran qu’on aime à détester. Le trio des trois cousines, comme des courtisanes, que forment Chloé Briot, Alix Le Saux et Eléonore Pancrazi, est formidable d’abatage et d’un humour ravageur. Avec ça, un swing d’enfer dans le mouvement. Comme le duo de courtisans aussi veules que ridicules que sont Rodolphe Briand et Lionel Lhote. Et cette chronique serait incomplète si nous ne parlions pas du Chœur de l’Opéra de Bordeaux sous la direction de Salvatore Caputo, lequel dirigé par Laurent Pelly fait montre d’une capacité de jeu aussi bien collective qu’individuel, faisant partie intégrante de l’action et loin de faire de la figuration. Mais ça, c’est la patte et l’intelligence de Laurent Pelly qui ne néglige jamais rien… Les applaudissements nourris et les rappels qui ont salué cette création augure un long avenir à cette production en tout point réussie. On sort du Théâtre des Champs-Elysées aussi grisé que Périchole, et le froid qui vous mord sur notre scooter n’a pas éteint notre enthousiasme.
© Vincent Pontet
La Périchole Opéra-Bouffe de Jacques Offenbach
Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halevy
Direction : Marc Minkowski
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Adaptation des dialogues : Agathe Mélinand
Scénographie : Chantal Thomas
Lumières : Michel Le Borgne
Collaboration aux costumes : Jean-Jacques Delmotte
Avec Antoinette Dennefeld (13, 15, 18, 19 et 26 novembre) / Marina Viotti (14, 20, 23, 24 et 27 novembre), Stanislas de Barbeyrac, Laurent Naouri (13, 15, 23, 24 et 26 novembre) / Alexandre Duhamel (14, 18, 19, 20 et 27 novembre), Rodolphe Briand, Lionel Lhote, Chloé Briot, Alix Le Saux, Eléonore Pancrazi, Nathalie Perez, Eddy Letexier, Mitesh Khatri*, Jean-Philippe Fourcade*
Les Musiciens du Louvre
Le chœur de l’Opéra de Bordeaux, direction Salvatore Caputo
*Membres du chœur
Du 13 au 27 novembre 2022 à 19 h 30
Théâtre des Champs-Elysées
15 avenue Montaigne
75008 Paris
Réservations : 01 49 52 50 50
theatredeschampselysees.fr
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