© Anne-Laure Lechat
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
L’espace est au centre de la danse, qui en est une exploration infinie. Avec Yasmine Hugonnet, cette recherche se fait sensible et sensorielle. La peau de l’espace est affaire de caresse, de contact. Quelque chose de presque impudique comme un rapport secret que l’on se découvrirait avec ce qui passe habituellement inaperçu. Cet espace est au centre, mais aussi autour et entre les corps formant de fait un autre corps. Cet espace est aussi en nous, comme l’expérimente Yasmine Hugonnet, allongée au sol, dans un fuseau bleu électrique surmonté d’un juste-au-corps bleu marine : équipée de capteurs, sa respiration normalement silencieuse est sonorisée, amplifiée. C’est étrange car ce flux organique surgit comme déréalisé, déterritorialisé. On se met à entendre autre chose que des expirations et des inspirations, plutôt une expérience d’hydrodynamique dans une tuyère de l’industrie aéronautique. On perçoit le sifflement, c’est à dire le frôlement de l’air sur cette autre enveloppe qui constitue notre intérieur. Cette mécanique des fluides se prolongera par une mécanique du corps, du mouvement, Yasmine Hugonnet se relevant et effectuant des mouvements de chaînes musculaires, articulaires précises, isolées, dans une mécanique machinique, le souffle sonorisé s’apparentant désormais à celui de la machine à vapeur. Le corps se fait outil, les angles se font droits, il y a la précision de l’horlogerie suisse dans ce rendu, où les parties du corps s’agencent en succession d’ajustements et d’équilibres.
La peau de l’espace parcourra sa seconde partie comme une conférence, les mots de Yasmine Hugonnet se déroulant comme autant de protocoles expérimentaux que son corps effectuera devant nous. Un certain rapport pédagogique s’instaurera avec la légèreté ironique de l’autodidacte. Yasmine Hugonnet zoome sur un bras, sur l’écart tenu entre deux mains, et pour la première fois l’épaisseur de l’espace n’est plus un vain mot, pour la première fois nous en prenons effectivement la mesure, nous en saisissons la texture, doublées de leur matrice temporelle. Dans notre espace empreint de gravité, la question du poids des corps s’invitera également. Yasmine Hugonnet se mettra la tête en bas dans sa soucoupe formée de deux simples chaises et nous parlera de l’espace non gravitationnel des astronautes. L’apesanteur, cette sensation particulière, étrangère à notre destin de terrien, comme si « notre corps n’existe plus ». Affranchi donc, mais privé d’existence.
Dans cette déambulation physique (au sens de la discipline scientifique), Yasmine Hugonnet effectue à chaque instant un pas de côté, construit par la lenteur de ses mouvements et par le regard qu’elle porte sur eux, comme si elle s’en extrayait. C’est ce délicat et précieux changement de référentiel qui fait de La peau de l’espace une cosmologie de l’être au monde, une expérience à portée de corps humain, et en toute modestie, des lois qui régissent l’univers.
© Anne-Laure Lechat
La peau de l’espace, conception, chorégraphie et interprétation : Yasmine Hugonnet
Collaboration artistique : Michael Nick
Assistante : Stéphanie Bayle
Création lumières : Dominique Dardant
Durée : 45 minutes
Les 16 septembre 2022, à 19 h et le 17 septembre à 18 h 30
Lafayette Anticipations – Fondation Galeries Lafayette
9, rue du Plâtre
75004 Paris
www.lafayetteanticipations.com
Tél : +33 (0)1 42 74 95 59
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