article de Victoria Fourel

Les joutes verbales des histoires d’amour dans la littérature sont un sujet qui fascine, éternelle source de textes savoureux, de moments de théâtre complètement modernes, et de morceaux de bravoure pour comédiens. Le texte de Crébillon fils, dont la metteure en scène signe ici l’adaptation, ne déroge pas à la règle, audacieux, parfois franchement explicite, mais aussi reflet de ce que la langue française fait de meilleur.

Dans un décor simple mais élégant, c’est tout ce que la mise en scène tend à renvoyer. Les comédiens se battent, s’attirent et se repoussent, dans un jeu de style et de séduction. Ils sont jaloux, vains, amoureux et talentueux. Et l’on sent tout au long du spectacle la passion que suscite cette langue, entre vice et vertu. Mais cette passion finit par ne plus être totalement réinventée, et le spectacle en pâtit. On reste beaucoup dans le texte, dans le ‘dialogue d’esprit’ tel qu’on le connaît, et les personnages ne sortent pas beaucoup de l’écrin. On appuie un peu trop la nonchalance et la perversité, et à l’inverse, certaines idées paraissent un peu accessoires, ne sortant pas beaucoup du réel (le piano, par exemple, est peu exploité, et pas complètement lorsqu’il l’est). L’ambiance et le jeu entre les deux personnages nous sont complètement familiers, on est pris et intrigués par l’heure de spectacle, en même temps que naît une légère sensation de déjà-vu.

Le duo d’érudits amoureux ne parvient pas toujours à renouveler l’exercice, malgré de bonnes idées, comme le costume de Cidalise, très beau, qu’elle finit par déchirer dans une rage contenue. Et quand on arrive au bout de la confrontation, on a apprécié de voir une joute dans une telle prose, mais on a encore envie de plus de concret, de nouveauté, et de choix moins évidents dans les décors, la diction, l’attitude physique des acteurs. L’énergie est là, la technique aussi. Ne manquent que du neuf un brin de folie, un regard aussi brillant que l’envie de jouer.

La Nuit et le Moment
Texte Crébillon Fils, adaptation de Melissa Broutin
Mise en scène Melissa Broutin
Avec Marie-Alix Costé de Bagneaux et Thomas Durand

Du 17 juin au 8 août 2015.
Du mardi au samedi à 18h30

Le Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs
Métro Notre-Dame des Champs (ligne 12) et Montparnasse (ligne 4, 6, 12, 13)
Réservation 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

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