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La nuit des rois ou tout ce que vous voulez, de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Ostermeier, à la Comédie-Française

Oct 15, 2018 | Commentaires fermés sur La nuit des rois ou tout ce que vous voulez, de William Shakespeare, mise en scène de Thomas Ostermeier, à la Comédie-Française

 

© Jean-Louis Fernandez

 

ƒƒƒ Article de Denis Sanglard

 

A qui aime B qui aime C qui aime A. Schéma classique de toute comédie. Le grand Will ajoute une dimension supplémentaire qui corse l’affaire : l’un n’est pas celui que l’on croit et, travesti, ajoute à la confusion des sentiments et des sexes. Echouée en Illyrie, à la recherche de son jumeau Sébastien, et pour protéger et sauver son sexe, Viola devient Césario, entre au service du duc d’Orsino dont elle tombe amoureuse, lequel duc est amoureux d’Olivia qui tombe amoureuse, elle, de Césario, devenu.e messager du duc. Sébastien est sauvé par Antonio, marin hors-la-loi, du naufrage. Et ce marin-là tombe sous le charme de Sébastien pour lequel il brave le danger de rester en Illyrie. Thomas Ostermeier sème davantage encore le trouble et, s’emparant avec maestria de la question du genre, enfonce le clou. La nuit des rois est aussi celle des reines… Mon genre n’est pas mon sexe, mon désir n’a pas de sexe. Jeu trouble des apparences et du désir dans lesquels les personnages chacun à leur tour se perdent avant de se retrouver désormais irrémédiablement marqués, métamorphosés par la révélation d’une identité bien plus floue qu’elle n’y paraît quand tombe les préventions et les conventions sociales. Malgré la résolution attendue, la révélation et la réassignation des sexes, la morale obligée, c’est la découverte de son genre ou de sa transgression qui éclate dans un final où baiser son partenaire, devient l’affirmation crâne de son identité nouvelle. A l’image du couple formé par Sébastien et Antonio qui visiblement ne s’arrêteront pas au mariage du premier avec Olivia. Et de ce final audacieux et inattendu qui voit nos personnages le plus naturellement du monde, après tant de retournements, se précipiter vers l’échangisme. Ce qui règne sur le plateau par la grâce d’une mise en scène qui ne perd pas son temps, va droit au but, mais s’attarde avec justesse et sensibilité sur la perte de repère et le trouble engendré par le désir c’est une folie furieuse qui affirme sa théâtralité dans un décor de sable blanc, de néon et de faux palmiers. Un paradis artificiel parce que dans cette comédie tout est artifice et apparence bientôt transgressée. Le monde est un théâtre et le théâtre en son entier devient décor, la scénographie décentre avec bonheur le plateau et le jeu par cette passerelle qui traverse la salle de part en part comme seront traversées les apparences, mettant au défi l’équilibre des personnages et des acteurs. Au sens propre comme au figuré. Lesquels dans cette mise en scène alerte, délurée, hardie, culottée et même souvent déculottée, s’en donnent à cœur joie, débridés par la traduction directe et franche d’Olivier Cadiot ne s’embarrassant guère de circonvolutions. Jusqu’à improviser et commenter la Macronie, reprendre les petites phrases de notre Président. Rire assuré, facile. Thomas Ostermeier joue ouvertement et avec brio des contrastes entre intimisme clair-obscur et comédie grotesque. Entre les deux la comédie pendule, pratique le grand écart, et fait chavirer sèchement les spectateurs qui oscillent à leur tour entre émotion, trouble et rire franc. Sensualité exacerbée des scènes entre Viola et Olivia. Magistrales et troublantes Georgia Scalliet et Adeline d’Hermy, sensibles et perdues, éperdues, aux cœurs battant d’un même souffle. C’est dans leurs hésitations fiévreuses ou leur soudain silence bouleversé qui brise net le verbe que tout semble soudain se révéler. Non sans douleur. Un duo où tomber d’amour n’est pas un vain mot, pris ici au sens premier qui voit chuter Olivia le nez dans le sable. Burlesque, paillard et aviné entre Sir Toby et Sir Andrew, les deux faisant une sacrée paire d’auguste. Laurent Stocker, mini Falstaff gonflé et tout en dorure, et Christophe Montenez, jumeau pour l’occasion d’un Iggy Pop au cerveau définitivement cramé, cul et bite à l’air, mènent tambour battant la charge explosive de la comédie qui éructe à chacune de leur apparition. Les autres comédiens ne sont pas en reste et ont trouvé là un formidable terrain de jeu dont en sales gosses ils profitent, dirigés au cordeau par Thomas Ostermeier qui les mène au confins d’eux-mêmes sans peur du ridicule mais avec une folie contagieuse et dévorante. Denis Podalydès, neurasthénique duc accroché à un amour impossible. Sébastien Pouderoux, Malvolio malmené, faux puritain, soudain fou d’amour et d’ambition, coupe au bol, bas jaunes et sexe au garde à vous est irrésistible de drôlerie jusque dans le drame. Stéphane Varupenne, clown blanc en collants rouges, le fou lucide sur ses contemporains et le jeu illusoires des apparences, de même. Tous, exceptionnels, sont à leur meilleur. Thomas Ostermeier réussit haut la main son entrée au Français et visiblement les comédiens lui ont fait grande confiance pour s’être remis à lui ainsi et sans barguigner. La nuit des rois ou tout ce que vous voulez.  On veut tout, on a tout, on prend tout.

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 

La nuit des rois ou tout ce que vous voulez de William Shakespeare

Traduction d’Olivier Cadiot

Mise en scène de Thomas Ostermeier

Scénographie et costumes  Nina Wetzel

Lumière  Marie-Christine Soma

Musiques originales et direction musicale  Nils Ostendorf

Dramaturgie et assistante à la mise en scène  Elisa Leroy

Conseil à la dramaturgie  Christian Longchamp

Travail chorégraphique  Glysleïn Lefever

Réglage des combats  Jerôme Westholm

Collaboration à la scénographie et aux costumes  Charlotte Spichalsky

Avec Denis Podalydès, Laurent Stocker, Stéphane Varupenne, Adeline d’Hermy, Georgia Scalliet, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Anna Cervinka, Christophe Montenez, Julien Frison, Yoan Gasiorowski

Et Paul-Antoine Benos-Dijan ou Paul Figuier contre-ténor (en alternance)

Clément Latour ou Damien Prouveau Théorbe (en alternance)

 

Du 22 septembre 2018 au 28 février 2019

 

Comédie-Française

Place Colette

75001 Paris

Réservations 01 44 58 15 15

www.comedie-francaise.fr

 

 

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