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La nuit chinoise, écrit et mis en scène par Maurici Macian-Colet, au Théâtre Le Colombier – Bagnolet

Mar 05, 2020 | Commentaires fermés sur La nuit chinoise, écrit et mis en scène par Maurici Macian-Colet, au Théâtre Le Colombier – Bagnolet

 

 

© DR

 

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Sur les lattes de parquet une forme humaine, accroupie, affairée, telle une réminiscence du tableau de Caillebotte. L’homme accroupi est Faustin, creusant la terre d’un jardin public pour y cacher un sac en plastique noir. Mais un autre sbire, Memphis, a tout vu et sait déjà, sans même avoir besoin de l’ouvrir, ce que le sac contient et qu’il ne saurait être question de rendre public. Le silence en échange d’une amitié. Ainsi se noue le premier pacte faustinien.

Un troisième homme les aura observés, de plus loin, viendra déterrer le sac, poussé par la curiosité, puis cherchera à s’en défaire alors qu’un quatrième voudra le lui rendre, pensant lui restituer une chose qu’il aurait perdue. Cette même nuit, une autre transaction faite de désir, de menace, et de peur : deux femmes dans un bar. Elles partiront finalement ensemble, elles traverseront un quartier aux maisons ruisselantes, elles rejoindront l’atelier de Frida, rempli d’une glaçante obscurité. Marie s’enfuira, non sans avoir mordu le sexe de Frida.

La nuit chinoise est une poursuite étrange, dans une nuit trouble, « sans astre », une variation libre, productrice d’un sens nouveau du mythe faustien. Dans son enchaînement narratif, dans sa structure dramatique, quelque chose de la Ronde de Schnitzler semble également affleurer. Une ronde envoûtante au fur et à mesure qu’elle se déroule, recelant de nouveaux mystères quand bien-même notre compréhension se fait plus complète scène après scène. Quelque chose malgré tout persiste à échapper. Comme si cette fuite du sens devait être la marque de notre profonde méconnaissance de l’existence. La nuit chinoise séduit aussi par sa gravité empreinte d’enfance comme dans un texte de Robert Walser.

L’écriture de Maurici Macian-Colet produit une parole qui a du corps, à nulle autre pareille, elle a cette puissance d’attraction qui immédiatement saisit l’oreille. Non pas qu’elle s’arrimerait à une matérialité indépassable, mais parce que la pensée y est un effort, une obstination, une lutte qui ne lâche rien quand bien même les événements lui seraient contraires. Animée d’une permanente intranquillité – qui irrigue bien au-delà du récit de La nuit chinoise – structurant l’ossature de cette langue affirmée, précise, la parole s’achemine en poursuivant une pensée qui s’en cesse se déroberait, la menant dans de vertigineux labyrinthes, créant l’étonnante sensation pour le spectateur d’observer les méandres d’un cerveau ouvert, bifurquant, se rebiffant, s’entêtant, faisant ployer la grammaire sous le coup de la quête d’un sens, donnant chair au dédale des mots.

Cette écriture est pleine, comblée de l’expérience de plateau de son auteur, nourrie des eaux vives de nos littératures anciennes, et sait ouvrir le champ à une poésie de l’esprit en fuite, du savoir en déroute, à l’aune des catastrophes annoncées de notre siècle.

En assistant à La nuit chinoise, comme en lisant Lewis Carroll, on fait l’expérience que le fantastique, plus que par ses situations et ses effets spéciaux, réside avant tout dans l’univers mental qui produit une langue, artisan des mots, des pensées, qui peuvent être des puits sans fonds, des miroirs sans tain. Bien avant même que l’étrangeté du récit nous ait frappés, nous déplaçant délicatement dans le progrès de la nuit, sans que l’on s’en rende bien compte, jusqu’aux confins de cette ville inconnue où les bâtisses « dégoulinent », enchaînant les scènes nimbées de cette tenace sensation d’attente et de manque, apportant des réponses immédiatement fragilisées par un nouveau lot de questions et d’inquiétudes, jusqu’à ce que la boucle finisse par retrousser le chemin parcouru tel un ruban de Möbius, nous ramenant au point de départ, complètement retourné. Maurici Macian-Colet est le constructeur virtuose de ce texte, lauréat à l’automne 2019 de la Commission nationale de l’Aide à la création de textes dramatiques d’ARTCENA.

Nous entraînant à corps perdu dans cette ronde nocturne, la troupe des Sbires sibériens donne à entendre la musicalité du texte, son rythme, sa scansion, la précision des intonations, des respirations, donnant ainsi corps à cette intelligence fantastique qui plane sur cette nuit chinoise. On regrettera peut-être l’esthétique des lumières, trop arrêtée, tranchée (inutiles découpes), qui pour efficace qu’elle soit, simplifie au lieu d’apporter complexité et poésie dans la déflagration du texte.

Quelques jours après avoir assisté à La nuit chinoise, lisant les dernières informations en provenance d’Idlib, de Turquie, d’un monde en guerre, de populations déplacées, d’une Europe égoïste, je ne pouvais m’empêcher de penser comme Maurici Macian-Colet à ce nouveau pacte faustien qui semble régir notre société : jouir de l’existence dans l’oubli des autres. Un contrat où finalement nous ne nous sentons plus aucune responsabilité. Voilà où nous sommes arrivés. Les yeux fermés.

 

 

La nuit chinoise, texte et mise en scène Maurici Macian-Colet

Avec Florian Miguel, Max Millet, Julia Kouakou, Chloé Chycki, Vincent Prévost et Maurici Macian-Colet

Lumière Fanny Jarlot

 

 

Du 25 février et 1er mars 2020

Du mardi au samedi à 20 h 30

Le jeudi à 14 h (relâche le soir). Le dimanche à 17 h

 

Durée : 2 h 15

 

 

 

Théâtre Le colombier

20 rue Marie-Anne Colombier

93170 Bagnolet

 

Réservation : 01 43 60 72 81

www.lecolombier-langaja.com

 

 

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