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La nostalgie des blattes, d’après le texte de Pierre Notte, mise en scène de Marylin Pape, à La manufacture des Abbesses

Août 29, 2023 | Commentaires fermés sur La nostalgie des blattes, d’après le texte de Pierre Notte, mise en scène de Marylin Pape, à La manufacture des Abbesses

 

© Y. Petit

 

ff article de Denis Sanglard

Deux vieilles engoncées dans leur gaine, vissées sur leur chaise louée en viager, attendent. Attendent qu’on les visite comme on visite une espèce en voie d’extinction, monstres de foire plus qu’objets de musée. Juste pour constater combien la vieillesse sans collagène est un foutu naufrage. « La graisse pesante, le menton triplé, le muscle avachi » comme le chantait joliment Juliette Greco, sur des paroles de Raymond Queneau (Si tu t’imagines). A l’âge où tout le corps vous lâche, se relâche, dans le doute elles pètent. Sans vergogne. Dans ce monde aujourd’hui javellisé, karchérisé, où pas une blatte dont elles gardent désormais la nostalgie ni un moucheron n’ont résisté, où le gluten n’est qu’un fort lointain souvenir, l’odeur des champignons susceptible d’alerter la brigade sanitaire, les cigarettes prohibées, ces deux-là s’engueulent sévère. Etrange duel où l’on joue de son parkinson pour épater sa voisine, où l’on échoue lamentablement à se composer un Alzheimer. Elles s’insultent, le verbe haut comme des harengères, se traitent de vieilles peaux, ce qu’elles sont et revendiquent crânement dans cette société aujourd’hui aseptisée où rôdent et s’abattent autour de vous et sans crier gare des drones. Chacune cherche sa place, clouée sur sa chaise, leur ultime territoire, se défiant d’un œil qui se voudrait mauvais, avant de se rabibocher, complices autour d’interdits bravés, une cibiche roulée et partagée comme un acte de résistance, un majeur levé, vrai doigt d’honneur pour enfin se réconcilier, décider de se lever et de foutre le camp vers un ailleurs définitif.

Pierre Notte signe une drôle de fin de partie, jubilatoire même si ce n’est pas là son meilleur texte malgré de belles fulgurances et son écriture toujours aussi abrasive et pointue. Reste la satire délicate et réussie, mordante, d’un monde en crise où le jeunisme et ses travers, le tout sanitaire et la tyrannie du bio, son absurdité, voudraient oblitérer les ravages du temps, cacher ces vieillards qu’on ne voudrait plus voir. Nos deux atrabilaires si elles ne défient pas la gravité, les chairs s’amollissant, font montre d’une sacrée résistance à tenir malgré tout et contre tous. Et elles sont formidables ces deux vieilles qui s’exposent ainsi sans fard, affichant non sans cran et fierté leurs rides et leurs chairs avachies. Marylin Pape et Eulalie Delpierre entrent dans leur gaine corseté avec un malin plaisir, une vraie jubilation à se balancer ces horreurs toute honte bue. Pas si méchantes que ça au fond, à vrai dire les crocs quelque peu émoussés, parce que ce qu’elles se racontent là n’est ni plus ni moins qu’un dernier tour de piste, alors autant tout balancer crument et s’en contreficher, en rire. Non, elles ne sont pas si méchantes, encore moins pathétiques ces mamies acariâtres et fières d’être des baby-boomers qui ont sans aucun doute connu le jouir sans entrave qui se résume aujourd’hui et tristement à cette clope fumée en loucedé. Marylin Pape et Eulalie Delpierre leur offrent une jolie et pétaradante humanité vacharde, dans un univers qui en est désormais dénué, elles ont de la tendresse rude pour celles qui de leur vieille peau tannée par le temps ont fait un étendard crâne. La mise en scène de Marylin Pape va à l’essentiel qui détoure avec simplicité ce duel à fleuret si peu moucheté. Et ils ne sont pas si nombreux les texte de théâtre qui traitent de ce sujet, la vieillesse, encore moins avec l’insolente et jouissive acuité de Pierre Notte. C’est une visite donc qui s’impose parce que les vieux c’est aussi de l’obsolescence programmée et qu’il serait bien dommage de rater ça qui est aussi, oui, notre avenir.

 

 

La nostalgie des Blattes d’après le texte de Pierre Notte

Mise en scène et scénographie : Marylin Pape

Création lumière : Maxence Andrianof

Conception et construction décor : Jean-Marc Delière

Avec : Marylin Pape et Eulalie Delpierre

 

Du 23 aout au 14 octobre 2023

Mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 19h

 

Manufacture des Abbesses

7 rue Véron

75018 Paris

 

Réservations : 01 42 33 42 03

www.manufacturedesabbesses.com

 

Tournée :

10/11/ 23 La Chapelle Naude

01/02/24 Morteau

30/04/24 Cluny

28/06/24 Lure

 

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