Critiques // « La Noce/Derniers remords avant l’oubli/Nous sommes seuls maintenant » par le Collectif In Vitro au théâtre des Abbesses

« La Noce/Derniers remords avant l’oubli/Nous sommes seuls maintenant » par le Collectif In Vitro au théâtre des Abbesses

Sep 22, 2014 | Commentaires fermés sur « La Noce/Derniers remords avant l’oubli/Nous sommes seuls maintenant » par le Collectif In Vitro au théâtre des Abbesses

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

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Derniers remords avant l’oubli
© Sabine Bouffelle

Avec le collectif « In Vitro » le terme de collectif prend tout son sens. Pleinement. Ce dernier présente au Théâtre des Abbesses un triptyque qui réunit « La Noce » de B. Brecht, « Dernier remord avant l’oubli » de J-L. Lagarce et « Nous sommes seuls maintenant » création/improvisation de ce groupe dynamique. Trois pièces, trois générations, trois situations qui se répètent à l’identique ou presque. Avec cette interrogation lancinante qui finit par tout faire imploser : que sont nos idéaux devenus, que sommes-nous devenus ?

Dans la Noce, le banquet tourne à l’aigre et, comme les meubles, se déglingue. Les rancœurs enfouies, les jalousies tues, les désirs inavoués remontent à la surface. Un allègre et joyeux jeu de massacre. Où l’avenir des jeunes mariés semble, comme leur nuit de noce, déjà consommé. Et comme en écho de cette génération petite bourgeoise sans idéaux autres qu’un « confort douillet », « Dernier Remord avant l’oubli » où J-L Lagarce interroge, avec cette ironie implacable et mordante, les idéaux perdus de ces trois qui s’aimaient avant de se déchirer et de se séparer. Et de refaire leur vie. Vingt ans après, avec la vente d’une maison, les non-dits, les mensonges, les incompréhensions, font de nouveau exploser le groupe réuni à cette occasion. Au regard de leurs aspirations passées, de leurs désirs et leurs rêves, le présent semble devenu bien étriqué. Et c’est justement cette tension insupportable entre ce passé raté, les aspirations envolées, et ce présent devenu minuscule aujourd’hui mis à nu qui fait tout sauter. « Nous sommes seuls maintenant » est sans nul doute bien plus acide et plus amer. Réunion de famille où le jeu de la vérité, impitoyable et aviné, finit par tout faire là aussi imploser. Et salement. Qui aurait donc pu penser que la révolution chilienne finirait dans une ferme des Deux-Sèvres ? Un dîner catastrophe, un de plus, où les yeux se décillent enfin, surtout ceux de Bulle, vingt ans à peine, à qui l’avenir est ainsi paradoxalement offert.

Car c’est bien une question d’héritage que met en exergue la metteuse en scène Julie Deliquet. Explorant les années 70 -la Noce est sans doute ici à l’aube de 68- jusqu’aux années 90, c’est une plongée dans la transmission. Consciente ou non. Que sont devenus les enfants de 68 ? Un regard sur nos propres aspirations et illusions éclatées, nos ratages flamboyants, nos idéaux pervertis, nos contradictions irrémédiables. Nos résistances arc-boutées aussi contre l’évidence avérée de l’échec. Et comment tout nous saute un jour où l’autre à la figure. L’impossibilité du déni au risque de la perte.

Julie Deliquet ne démine pas le terrain mais par sa prédilection au plan-séquence étiré au maximum et au travail d’improvisation – exercice délicat mais auquel ce collectif est rompu – mène tambour battant ses comédiens dans une tension permanente jusqu’au point de rupture où tout vole en éclat. Long plan séquence que la table sans doute, unique et central objet du décor, résume le mieux. On ne la quitte pas cette table, avant qu’elle ne soit renversée, qui devient la scène principale autour de laquelle la parole se libère en un flot furieux et saccadé. Et ce qui saute aux yeux, magnifiquement, c’est la très grande fluidité de la parole et des corps. L’impression que cette parole est spontanée, s’inventant sur l’instant. Les répliques fusent et même se mordent parfois l’une l’autre ou sont à peine audibles comme un remord vite étouffé. Ce qui semble compter est l’énergie formidable, cette, encore une fois, circulation infernale et dynamique de la parole qui ne cesse comme l’alcool d’enivrer et de noyer les invités. Une parole qu’on ne parvient plus à maitriser, ou mal, et qui finit par dévider la vérité de l’échec. Et quand le silence se fait, quand tout est dit, on reste abasourdi, sonné, vide et désespéré. Saoul. Et seul. Irrémédiablement.

Évidemment on peut regretter que la limite de cet exercice soit de perdre la langue de l’auteur, leur style propre. Brecht et Lagarce sont ainsi mis sur le même plan stylistique afin de privilégier un certain (hyper)naturalisme, au détriment de l’écriture singulière de chacun des auteurs. Mais l’intérêt du collectif «In Vitro », et sa force, tient aussi à la remarquable cohésion de ce groupe, au talent de ses comédiens qui acceptent ce pari insensé d’improviser – ou presque – chaque soir offrant une création mouvante, en constante mutation. Chapeau ! Rare de voir une telle et belle unité au service d’un projet global aussi audacieux. Un travail cohérent et fragile, qui par cette saga, trois pièces se suivant, apparaît clairement et de façon nette. C’est ce qui donne à ce collectif sa force et sa conviction. Une conviction si prégnante qu’elle ne peut emporter que l’adhésion.

La Noce/Derniers remords avant l’oubli/Nous sommes seuls maintenant
Triptyque « des années 70 à nos jours…»
Collectif In Vitro
Mise en scène de Julie Deliquet
Avec Julie André, Gwandal Anglade, Anne Barbot, Eric Charon, Olivier Falliez, Julie Jacovella, Pascale Fournier, Jean-Christophe Laurier, Agnes Ramy, Richard Sandra, Annabelle Simon, David Seigneur
Scénographie Charlotte Maurel, Julie Deliquet
Vidéo Mathilde Morières
Lumières Jean-Pierre Michel, Richard Fischler
Son David Georgelin

Théâtre de la Ville de Paris
Théâtre des Abbesses
31, rue des Abbesses
75018 Paris
Du 18 au 28 septembre 2014 à 19h00
Le dimanche 21 et 28 septembre à 14h

Réservation 01 42 74 22 77
www.theatredelaville.com
Festival d’Automne à Paris
Réservation 01 59 45 17 17
www.festival-automne.com

Théâtre Gérard Philippe
59 boulevard Jules Guesde
93207 Saint Denis Cedex
Du 2 au 18 octobre 2014

Nous sommes seuls maintenant Mercredi Jeudi et vendredi à 20h30
Intégrale le samedi 4 et 11 octobre à 16h, dimanche 5 et 11 octobre à 15h
Relâche lundi 6 et mardi
Réservation 01 48 13 70 00
www.theatregerardphilippe.com

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