À l'affiche, Critiques // La musica de Marguerite Duras mise en scène D’Anatoli Vassiliev au théâtre du Vieux-Colombier

La musica de Marguerite Duras mise en scène D’Anatoli Vassiliev au théâtre du Vieux-Colombier

Mar 19, 2016 | Commentaires fermés sur La musica de Marguerite Duras mise en scène D’Anatoli Vassiliev au théâtre du Vieux-Colombier

article d’Anna Grahm

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© Laurencine Lot

Sur le grand mur défraichi du fond, est venue s’encastrer une volée de marches sans garde-fou. Le plateau, plongé dans la pénombre, est envahi d’un bric-à-brac de vieilleries, et semble abandonné à lui-même. Partout s’entassent des chaises hors d’âge, des postes de radio obsolètes, et les horloges brassent un temps où tout est désormais démodé, arrêté, poussiéreux comme dans un grenier.
De ce fouillis se dégage une fatigue, une immobilité, un écrasement. Au départ on a l’impression d’assister à une répétition. La salle est restée allumée, les acteurs ne se mettent pas en lumière mais émergent lentement du plancher pour se perdre dans les recoins en marmonnant. Ils errent au milieu de ce qu’ils ont vécu, cherchent la bonne distance pour éviter le conflit. Elle, hiératique, superbe, presque imperméable. Lui, toujours en périphérie, en bordure de plateau, plus fureteur, plus renard. Lui, encore incapable de la laisser partir, tourne autour de leur passé amoureux.
Car si leur histoire est finie, si leur amour, leur jeunesse, leur mariage est terminé, ce qu’il a connu d’elle ne lui a pas suffi à la connaître. Alors, avant de la quitter, il voudrait enfin comprendre cette femme insaisissable, lui faire avouer ses erreurs, ses fuites, ses mensonges peut-être. Et parce que la distance scène/salle est abolie, il fait de nous les témoins d’une confession qu’il a bien du mal à recueillir.
Il nous tend son mystère, cherche à pénétrer ses secrets, voudrait entrer dans cette forteresse imprenable pour accéder à cette vérité invisible qui jusqu’ici lui a échappé. Mais pour lui, comme pour nous, rien n’est livré d’emblée, l’intonation atone des comédiens ne véhicule aucune information sur leurs émotions. A l’évidence, la mise en scène d’Anatoli Vassiliev exige du spectateur qu’il aille, comme les personnages, dénicher derrière les mots, ses propres explications. L’exigence est posée de libérer l’imaginaire, de briser nos enfermements.
Avec eux nous participons à l’élaboration du sens, nous puisons dans notre expérience commune et sans cesse remodelons cette idée de l’amour jusqu’à parvenir à son essence cachée. Ici, ce qui se joue c’est de la pensée en mouvement, ce que nous projetons sur l’amour et ce que nous en faisons. Comme eux nous sommes renvoyés à nos déserts, nos choix, nos contradictions, nous sommes pétris d’indéterminé, et la construction du spectacle, comme celle de notre liberté, nous est échue.
Impossible de se laisser porter par une vague de disputes, de se laisser aller à juger d’une quelconque culpabilité, ni même d’accepter le meurtre des époux, non ces deux-là refusent de revenir à cet enfer de la passion brûlante qui les a consumés. Et la seule certitude qu’il reste c’est le va-et-vient lancinant du balancier qui rappelle que le temps est compté, et que même si le désir s’use et que les promesses d’amour meurent, le devenir attend.
Lui, pris dans le piège de la jalousie, tente de s’en arracher et, cherchant une planche de salut, choisit la consommation sexuelle où il peut à nouveau se faire aimer et oublier la séparation. Mais la nudité triviale offerte en pâture derrière une vitrine suffit-elle à réparer la perte des amants, le but d’une vie est-il vraiment de se repaitre de la chair des rencontres de hasard, pour survivre à l’ennui qui les tue à petit feu ?
Toute l’œuvre de Marguerite Duras s’est concentrée à creuser l’énigme des relations hommes/femmes, sa plume obsessionnelle interroge la naissance et la dissolution des liens humains, cherche à découvrir ce qui demeure inexpliqué. Les acteurs magnétiques, touchés par la grâce, désossent cet éternel retour de l’amour, sans hostilité, ni rivalité, mais comme s’ils tâchaient de se consoler. Ils s’emploient à faire entendre la nostalgie de chacun, et à formuler cette inexprimable chimie qui sans cesse opère, qui parfois obère au point que l’homme n’adhère plus à rien. N’est-ce pas le rôle du théâtre de remonter ces voies sans concession, n’est-ce pas ce qu’on attend de lui et ce pourquoi on y revient ?

La musica, la musica deuxième
de Marguerite Duras
mise en scène D’Anatoli Vassiliev
scénographie et lumières d’Anatoli Vassiliev et Philippe Lagrue
assistante mise en scène Hélène Bensoussan
collaboration artistique Natalia Isaeva
avec Thierry Hancisse, Florence Viala, Agnès Adam, Hugues Badet, Marion Delplancke

Du 16 mars au 30 avril 2016

Théâtre du Vieux colombier
21 rue du Vieux-Colombier Paris 6
réservations 01 44 58 15 15
www.comédie-francaise.fr

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