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La Mouette, d’Anton Tchekhov, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman au Théâtre de la Ville Les Abbesses

Fév 08, 2023 | Commentaires fermés sur La Mouette, d’Anton Tchekhov, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman au Théâtre de la Ville Les Abbesses

 

 

© Gilles le Mao

 

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

« Qu’ils crèvent les artistes ! » disait Taddeuz Kantor. Dans La Mouette, Tchekhov n’épargne pas le quatuor d’esthètes de ce théâtre au carré qui parlent pour ne rien dire tout en menant une vie de ratés, obsédés continuellement par leurs problèmes de carrière, leur rivalité, leurs histoires d’amour malheureuses, sourds aux préoccupations des autres. Medvédenko aime Macha, qui aime Konstantin Treplev, qui aime Nina, qui aime Trigorine, qui est l’amant d’Arkadina… On dirait une parodie de l’Andromaque racinienne. L’écrivain russe ajoutait « les personnes qui depuis longtemps portent un chagrin et s’y sont habituées ne font que siffloter et restent pensives ». Brigitte Jaques-Wajeman a capté l’élégance des grands mélancoliques, le dégoût d’être vieux et laid chez Sorine, la sensation de ratage de l’écrivain Treplev, l’humiliation de Nina, le sentiment de porter le deuil de sa vie à vingt-deux ans, comme Macha, « tous attendent de l’art quelque chose d’essentiel pour eux-mêmes et pour le monde » dit Brigitte Jaques Wajeman. Le seul à être doué pour une vie simple est Dorn le médecin qui dit réellement ce qu’il pense sans tricher avec son âge ou sa condition.

Sa version de La Mouette a quelque chose d’une marine impressionniste, les soleils rouges ou noirs reflètent au loin la silhouette des acteurs, leurs émotions troubles, la fugacité des choses. Le tréteau nu d’un théâtre constitué de billots de bois entouré de chaises ouvre, comme à Bussang, sur un lac troué d’un ciel immense dont les variations lumineuses scanderont les quatre actes de la pièce. Les personnages surgissent du lac dans lequel sombrent les nuages aux formes fantastiques et lumineuses, des firmaments de soie grise ou violette. Quelques variations musicales accompagnent la présence lancinante de la lumière. Le décalage tragique entre ces paysages à la beauté sidérante, au cœur des forêts, au bord des étangs et la musique des corps qui ploient est bouleversant ; vivre est difficile et la vieillesse un naufrage. Les comédiens jouent dans l’instant. Pauline Bolcatto est une Nina arc-en-ciel telle la robe de Catherine Deneuve dans Peau d’âne, pierre de lune dans son interprétation à la Isidora Duncan du texte de Treplev, feu follet quand elle déclare sa flamme à l’écrivain Trigorine, gris cendre quand elle dit adieu à sa jeunesse. Fabien Orcier donne toute son épaisseur à Sorine, aux jambes percluses de rhumatismes, fonctionnaire malgré lui qui rêvait d’être écrivain car « même inconnu, la vie aurait été plus belle ». On a envie de lui susurrer les mots de Sonia « Nous nous reposerons… mon pauvre oncle Vania, tu pleures… attends… nous nous reposerons » quand il s’endort doucement abandonné à son mystère.

Ici on tue ! Raphaël Naasz incarne magnifiquement le dramaturge Treplev à qui l’on reproche l’absence de personnages vivants, le manque d’action, trop de lenteur, qui se suicidera au final dans l’indifférence générale et dont les dernières paroles furent « cela pourrait faire de la peine à maman ».

Quel bonheur cette histoire de transmission ! Brigitte Jaques-Wajeman fut la Nina de Vitez selon lequel le corps et la voix de l’acteur ne sont pas des instruments mais son être même. Sa troupe respire instinctivement la langue de Tchekhov, avec beaucoup d’intelligence, lui qui pensait ne jamais pouvoir égaler Tourgueniev ou Dostoïevski.

« Je vais proposer à Konstantin un sujet de nouvelle, dit Sorine :  L’homme qui voulait… Dans ma jeunesse, je voulais devenir écrivain et je ne le suis pas devenu ; je voulais être éloquent et j’ai toujours parlé très mal […] je voulais me marier et je ne suis pas marié. Je voulais toujours habiter la ville et je finis mes jours à la campagne. Et voilà tout ». La nouvelle portera un très beau nom, La Mouette.

 

© Gilles le Mao

 

La Mouette, d’Anton Tchekhov

Mise en scène : Brigitte Jaques-Wajeman, assistée de Pascal Bekkar

Lumière, scénographie : Nicolas Faucheux

Costumes : Chantal de la Coste

Avec : Pauline Bolcato, Raphaël Naasz, Bertrand Pazos, Raphaèle Bouchard, Sophie Daull, Timothée Lepeltier, Fabien Orcier, Pascal Bekkar, Vincent Debost ou Luc Tremblais, Hélène Bressiant ou Sophie de Fürst

 

Durée : 2h30

 

Du 03 au 25 février à 20h, le dimanche à 15h

 

Théâtre de la Ville Les Abbesses

31 rue des Abbesses

75018 Paris

 

Les 8 et 9 mars 2023 au Théâtre de Beauvais

 

Réservation :

01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

Tournée 2024 en construction de janvier à avril

 

 

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