© Pascal Gely
ƒƒ Article de Corinne François-Denève
Le narrateur nous en prévient dès le début : rien de tout cela n’est réaliste. Dans le Sud des Etats-Unis, après la Grande Dépression, le temps de la splendeur d’avant-guerre, de Tara, de Scarlett, d’Autant en emporte le vent, est bien révolu. Mais Amanda Windfield, abandonnée par un mari volage, réduite à une pauvreté crasse, préfère se raconter à l’envi ses fictions de plantations prospères, de bals au clair de lune, de nuées d’esclaves dévoués, de prétendants empressés. Elle n’a pas une fille infirme, dont la seule consolation est sa ménagerie de verre, mais juste une enfant un peu à part ; son fils, dont la jeunesse s’étiole dans une odieuse fabrique de chaussures, est son passeport pour un avenir meilleur. Lui aussi choisit la fiction – celle du cinéma, dans lequel il passe ses soirées, faisant de sa vie un film meilleur qu’elle ne sera jamais. Mais quel futur peut bien attendre ces ratés de l’histoire ? L’apparition d’un self-made man made in America ? Qu’aurait-il à voir cependant avec ces anachroniques personnages ? A moins que le seul but de chacun ne soit d’avoir aussi son petit roman.
Dans le petit écrin du Poche, le décor en est presque trop beau. Délicat, moiré, il porte encore la splendeur d’antan, là où le texte de Williams suinte la déchéance. La jeune fille infirme claudique joliment, et sa « bizarrerie » se réduit à des spasmes soudains qui arrachent plus de sourires que de commisération ou d’effroi. La scénographie, léchée, laisse toutefois place à de belles idées : tel portrait qui s’anime, tant le disparu occupe encore de place dans la psyché des femmes de sa famille ; telle ouverture en fond de scène, qui laisse passer des images subjectives. La traduction choisie est également étrange, qui fait la part belle à des anachronismes assumés, sans doute censés rendre ce « vieux Sud » auquel s’accroche Amanda (« galants », « ivrognes »), mais qui passent parfois difficilement la rampe. Félix Beaupérin ne ressemble pas à un Irlandais avide de bouffer le rêve américain, mais à un gandin de Feydeau – finalement, l’adaptation en français « décale » aussi le texte décalé de Williams.
Qu’importe finalement tout cela. En double de Tennessee Williams, finalement, Charles Templon campe un Tom à la limite du désespoir et de la haine, mais toujours sur une ligne de crête – il sera le seul sauvé, apte à tailler sa route, à se frayer un chemin dans et vers le théâtre. Et puis il y a Cristiana Réali. Elle est notre Vivien Leigh, et il est peu de dire qu’elle est faite pour le rôle, et y est éblouissante. Tour à tour belle du Sud à la beauté encore tellement éclatante, juste un peu fatiguée, juste un peu plus mûre, mère louve et indigne, femme dépitée ou résignée, elle exprime toutes les facettes de son si grand talent, portant à sa hauteur ses jeunes partenaires.
© Pascal Gely
La Ménagerie de verre de Tennessee Williams
Traduction Isabelle Famchon
Mise en scène Charlotte Rondelez
Avec Cristiana Réali, Ophelia Kolb, Charles Templon et Félix Beaupérin
Décors Jean-Michel Adam
Vidéos et magie Romain Lalire
Création musicale Vadim Sher
Lumières François Loiseau
Chorégraphie Alma de Villalobos
Assistante à la mise en scène Pauline Devinat
Accessoiristes et assistantes décors Julie Mahieu et Anaïs Souquet
Menuiseries Marcel Rondelez
Durée 1 h 55
À partir du 4 septembre 2018
Du mardi au samedi 21h, le dimanche 17h30
Relâches exceptionnelles les 2 et 9 octobre
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse
75006 Paris
Réservations : 01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
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