© Le Monde d’Aurore
ƒƒ article de Sylvie Boursier
La fable est ancienne. À la voir se déployer dans le conte musical avec marionnettes d’Estelle Charlier et Martin Kaspar, on a l’impression qu’elle s’invente sous nos yeux. Un meunier vend sa fille vierge au diable, lui réservant un avenir de salissures sexuelles et de sévices. La jeune fille est trop pure pour céder, sans que cette pureté suffise à la préserver du malin. Elle perd ses mains, tranchées par son propre père, et prend la fuite, plus démunie dans sa mutilation nouvelle que Peau d’âne sous son manteau de souillon. Cette première fuite n’est que le début d’une longue série de malheurs dont la jeune manchote triomphera, enfin aimée pour elle-même par un prince.
Sous des dehors simplistes, le conte développe des sujets graves, la toxicité de certaines relations familiales, la vénalité, la lâcheté, la violence faite aux femmes. La mise en scène de la compagnie La Pendue est aux antipodes des histoires à la Disney, elle nous fait ressentir profondément ce que signifie prendre sa vie en mains. Elle rappelle, sous une forme plus charnelle, presque organique, le merveilleux film d’animation de Sébastien Laudenbach, sorti en 2016, La Jeune Fille sans mains, ou encore Le Conte de la princesse Kaguya, d’Isao Takahata, qui voit une jeune fille accepter de se sacrifier par amour pour ses parents.
La force du spectacle tient dans un duo incroyable entre un homme-orchestre (Martin Kaspar Orkestar) multi-instrumentiste et une femme transformiste qui incarne avec ses marionnettes à gaines ou portées tous les protagonistes. À eux deux, ils donnent un rythme d’enfer au drame sur un plateau circulaire tournant dominé par un écran, modernisant l’univers de la fable en lui donnant une dynamique folk rock qui donne envie de danser. Les personnages émergent comme des flashs de couleurs en décalage avec les images projetées en noir et blanc, reflets de nos fantasmes archaïques. Les pantins surgissent de la boîte noire, le rouge d’une trainée de sang, le bleu profond d’un arbre, les ailes du moulin et la blancheur de La Manékine qui ressemble à une reine, sous ses oripeaux mités. Son absence de mains la rend plus présente encore dans une métamorphose étonnante de lignes et de couleurs. Un castelet fait office de promontoire pour les séquences dans la maison du meunier.
On regrette les punchlines à la façon des talk-shows qui ponctuent le spectacle. La poésie de l’ensemble s’en ressent, sans nuire à l’incroyable énergie visuelle dégagée et à la flamboyance des plans.
La Manékine, sous les traits d’Estelle Charrier, renaît de ses cendres, elle conserve sa luminosité, sa foi en l’homme et son empathie, une belle métaphore des malheurs qui jalonnent le cours d’une vie et un spectacle généreux, accessible à tout public.
© Le Monde d’Aurore
La Manékine, texte de Romaric Sangars
Direction artistique, marionnettes et masques : Estelle Charlier
Composition : Martin Kaspar Orkestar
Mise en scène Estelle Charlier et Romuald Collinet
Adaptation et textes : Romaric Sangars
Création et régie lumière : Anthony Lopez
Régie son : Andi Luchsinger
Construction décors et accessoires : Anthony Lopez, Andi Luchsinger,
Estelle Charlier, Martin Kaspar Orkestar & Romuald Collinet
Costumes : Estelle Charlier
Conseil chorégraphique : Sarah Charlier
Montage vidéo : Pavlína Vimmrova
Avec : Estelle Charlier & Martin Kaspar Orkestar
Durée : 1h
Du 19 au 28 septembre 2025
Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes
Vu le 27 septembre 2025
Place Nevers
08000 Charleville-Mézières
03 24 59 94 94
Tournée :
8 et 9 novembre 2025 : Unidram Potsdam (Allemagne)
5 et 6 décembre 2025 : Festival Monde Noir, Théâtre Massalia, Marseille (13)
17 décembre 2025 : Saint-Maurice l’Exil (38)
21 janvier 2026 : Centre culturel de La Ricamarie, Festival Maillon en Scène, La Ricamarie (42)
31 janvier 2026 : Meung-sur-Loire (45)
24 au 28 février 2026 : Opéra de Saint-Étienne, Saint-Étienne (42)
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