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La Hchouma, texte de Brahim Naït-Balk, mise en scène de Yann Dacosta, au Théâtre de la Reine Blanche

Avr 10, 2025 | Commentaires fermés sur La Hchouma, texte de Brahim Naït-Balk, mise en scène de Yann Dacosta, au Théâtre de la Reine Blanche

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

La hchouma, c’est la honte. C’est aussi l’histoire de Brahim Naït-Balk, éducateur sportif, directeur départemental Handisport, animateur de l’émission Homomicro, entraîneur de l’équipe du Paris Foot Gay. Brahim Nait-Balk d’origine marocaine et de culture arabo-musulmane est homosexuel. Né à Saint-Etienne, c’est dans la Cité des 3OOO d’Aulnay-sous-Bois qu’il grandit et découvre son homosexualité. Pas le meilleur endroit pour faire son coming-out quand pèse le poids des tabous culturels et religieux, les injonctions virilistes, les traditions familiales dans les quartiers populaires. C’est un récit à vif d’une descente aux enfers, Brahim Nait-Balk est insulté, frappé et violé (ce que l’on sait peu, les tournantes ne touchent pas seulement que les filles) mais aussi le témoignage sensible d’une lente émancipation à marche-forcée et d’une résilience. Adaptation théâtrale réussie d’Un homo dans la cité, La Hchouma n’édulcore rien de la violence de ce récit, de sa nécessaire impudeur et de sa crudité. C’est à l’origine pour les scolaires qu’il fut monté, collège et lycée, dans une démarche pédagogique de lutte contre l’homophobie et les discriminations de genre. Représentation suivi d’un débat. A la Reine Blanche sont prévus aussi des bords-plateaux.

La mise en scène précise de Yann Dacosta ne s’embarrasse de rien. Plateau nu, plein feu, public dans une proximité immédiate, ce qui importe ici c’est ce qui est dit sans jugement, au risque de heurter. Mais il faut entendre cette mise à nu, cette parole par force militante, engagée. Ils sont deux sur le plateau pour interpréter Brahim Nait-Balk, à se partager ce récit, un ballon de foot circulant de l’un à l’autre comme un bâton de parole. Et de foot il en est question ici qui fut l’objet d’une détestation avant d’être celui d’une reconstruction. Né à Saint-Etienne en 1963, capitale du football à cause du succès des verts (pour qui a connu cette génération), l’auteur sera systématiquement associé à ce jeu collectif. Un collectif au sein duquel il était sinon exclu du moins toléré. Est ainsi souligné l’importance du football dans les cités comme sport d’intégration mais aussi d’exclusion où se révèlent et s’expriment les tabous d’une société au final profondément patriarcale et machiste.

Ahmed Kadri et Majid Chikh-Miloud n’incarnent pas seulement l’auteur, avec beaucoup de tact, mais également l’entourage familiale, formidable et sensible incarnation de la mère de l’auteur, ou immédiat, les agresseurs emmurés dans leurs convictions, le plus souvent religieuses. Ils sont tous deux formidables de naturels, jamais dans la surenchère, mais respectueux avant tout de cette parole dont ils savent l’importance et la charge émotionnelle, l’impact qu’elle peut avoir dans cette description d’une violence homophobe ordinaire. Pourtant nul pathos, rien de trash non plus, et c’est aussi la réussite de cette création proche du documentaire, mais sans didactisme, de refuser toute exhibition sensationnaliste pour n’en rester qu’aux faits bruts aussi abrupts soient-ils et circonscrits avec justesse, sans débords. Brahim Nait-Balk n’accuse pas mais tente comprendre les mécanismes sociétaux d’une société fermée sur elle-même, géographiquement, socialement, culturellement et qui le condamne, condamne la différence. Et de l’hypocrisie parfois sous-jacente de cette « virilté abusive », comme le chante si bien Eddy de Pretto dans Viril, qu’il y a à violer un autre homme…

Comme l’affirmait il y peu Gisèle Pélicot , et qui est dit ici aussi, la honte doit changer de camps. Un spectacle, difficile et fort, indispensable pour que change notre regard.