Un Fauteuil Pour l'Orchestre – Le site de critiques théâtrales parisien » La guerre n’a pas un visage de femmes de Svetlana Alexievitch, mise en scène de Marion Bierry, au théâtre Traversière

À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // La guerre n’a pas un visage de femmes de Svetlana Alexievitch, mise en scène de Marion Bierry, au théâtre Traversière

La guerre n’a pas un visage de femmes de Svetlana Alexievitch, mise en scène de Marion Bierry, au théâtre Traversière

Nov 08, 2022 | Commentaires fermés sur La guerre n’a pas un visage de femmes de Svetlana Alexievitch, mise en scène de Marion Bierry, au théâtre Traversière

ƒƒ Article de Sylvie Boursier

C’était des jeunes filles en fleurs, à peine pubères, engagées volontaires de 1941 à 1945 pour défendre leur pays, la Russie. Méprisées, ignorées, considérées comme des « femmes impures » à leur retour, elles se sont tues alors qu’au front elles étaient unies aux hommes dans le même malheur ; malgré toutes les horreurs subies, elles se sentaient utiles. Svetlana Alexievitch sera leur voix, Flaubert dit de lui qu’il est « un homme-plume », elle est « une femme-oreille », un porte-voix plus qu’un porte-plume.

Marion Bierry a resserré les multiples témoignages du récit originel autour de cinq femmes aux fonctions différentes, tireur d’élites, sapeur-mineur, médecin, tankiste, aviateur. La guerre des femmes raconte la petite histoire dans la grande, on broute affamés les parcs lors du blocus de Leningrad, on pratique des amputations avec les dents et tombe amoureux malgré tout, c’est même la seule chose qui permet de survivre, la langue gèle de froid. En corole, par grappes, elles se répondent, parlent le même langage lors de cette conférence imaginaire. Simple, la mise en scène n’en rajoute pas devant la force d’une parole dont on devine qu’elle est prise pour la première fois. Les souvenirs des quatre années de boucherie sont premiers et une question reste en suspens : comment ont-elles fait, ces rescapées pour se remettre à vivre ? On pense à Mesure de nos jours de Charlotte Delbo, revenue d’Auschwitz : « refaire sa vie, quelle expression. J’ai repris mon métier […] je vis en somnambule que rien ne réveillera ». L’indicible, la fraternité des combats, l’amour et la mort à 18 ans, au retour on n’avait plus rien à leur apprendre à ces filles gouailleuses, revêches, douces, pleines d’humour et toujours autant révoltées par la barbarie.

On sent les comédiennes très fières d’avoir à porter de telles voix. Elles font passer toutes les nuances de leur rôle et composent des personnages singuliers. Ce spectacle si juste et si nécessaire nous questionne. Qu’aurions nous fait ? Leur patrie méritait-elle un tel sacrifice ? Pourquoi le courage de ces combattantes n’a pas été payé d’un surcroît de liberté ensuite ? Pourquoi ce pays reste-t-il biberonné à la souffrance ? Elles ne se posaient pas de questions à l’époque, prêtes à donner leur vie pour leur pays et aussi pour Staline. « Que devons-nous être demande Svetlana Alexievich, un pays fort, ou bien un pays digne où il fasse bon vivre » ?

Suite à l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, l’autrice, exilée en Allemagne, a déclaré que « fournir un territoire à un pays agresseur n’est rien d’autre que la complicité d’un crime » en relation avec l’implication de son pays, la Biélorussie, aux côtés de l’agresseur.

800 000 jeunes femmes se sont engagées en 1941, aujourd’hui, des femmes kurdes, ukrainiennes, combattent au côté de leurs compatriotes masculins, qui les accueillera à leur retour ? Qui recueillera leur témoignage ? Qu’est-ce qui a changé dans ce monde ? La guerre a un visage de femmes au théâtre regardez-les !