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La grande marée, conception et mise en scène de Simon Gauchet, au Théâtre de la Bastille

Nov 13, 2023 | Commentaires fermés sur La grande marée, conception et mise en scène de Simon Gauchet, au Théâtre de la Bastille

 

© Louise Quignon

ff article de Denis sanglard

Simon Gauchet est un aventurier, on le sait. Coutumier d’un « exercice de l’ailleurs » vitézien, on ne s’étonne guère ici qu’il parte en expédition pour retrouver l’Atlantide, mythe et mère de toutes les catastrophes, cataclysme refoulé dans notre inconscient collectif et donc condamné à la répétition que trahit notre fascination ou interrogation certaine pour la fin du monde et que notre actualité climatique et politique ne peut démentir. C’est une création gigogne, procédant par emboitement, qui ne cesse en apparence de s’éloigner de son sujet pour mieux s’en approcher… On y parle des rêves qui habitent chacun, on raconte les expéditions qui ont nourri cette création, on rejoue la scène d’un colloque entre philosophes et anthropologues, on rapporte les interviews et rencontres de ceux qui impulsèrent et orientèrent cette quête, on s’imagine espèce subaquatique préhumaine, on y résume même Mireille, l’opéra de Gounod (oui !). Et c’est aussi ludique que subtil, drôle avec ça, et fort intelligent.

A l’origine, ou presque, de cette expédition il y a Brigitte Salino, critique au Monde, qui envoie un article et ses archives afférentes au metteur en scène, fruit de son enquête dans les années 80 sur ce projet en apparence fou de Dietmar Kamper, anthropologue allemand qui, avec d’autres chercheurs, s’apprêtait à partir à la recherche de cette île mythique. Projet avorté par la chute du mur de Berlin.

Simon Gauchet embarque donc ses interprètes dans un voyage qui, de l’île de Santorin (lieu présumé de l’Atlantide) en passant par la baie du Mont Saint-Michel, la plaine de Crau, les grottes sous-marines du Cap Fréhel, un site mégalithique breton, la grotte de Cougnac, interroge aussi l’engloutissement, la submersion, ces paysages et lieux pouvant évoquer la catastrophe originelle et ses traces mémorielles. Ces voyages-là se métamorphosent très vite en une autre quête, plus intérieure celle-là. A l’image de la grotte de Cougnac justement dont les parois portent les premiers dessins de notre humanité, ces lieux sont porteurs de rêves, endroits poreux entre réalité et fiction dans lesquels on se réfugie, espace devenu projection de notre monde intérieur. Et c’est ça qui nous est raconté sur le plateau, notre propre Atlantide, celui que nous portons tous en nous, catastrophe intime ravageuse qui nous détermine.

Incidemment c’est aussi la fabrique du théâtre, comme son origine, qui nous est contée, dans son rapport entre l’imaginaire et le réel. Et c’est en tant qu’anthropologue de l’imaginaire, donc, que les comédiens s’engouffrent dans les méandres, les plis tortueux de cet inconscient, explorant cette ligne de crête où à défaut de se souvenir, puisant dans nos rêves souvenus on invente. Même si parfois ceux-ci sont aussi nos Atlantide, une mémoire engloutie soudain émergée dans la nuit, qui nous condamne à la perte.

Et pour décor rien que des bâches, toiles peintes d’opéra manipulées à vue. L’espace devient mouvant ; grottes, mers, plaines… magnifique illusion (théâtrale) de profondeurs abyssales, ou d’espaces infinis sans horizon autre que notre imagination, ces toiles déterminent la mise en scène et la dramaturgie, jouant de la dissimulation et de la mise à nu. Plus que les illustrer elles sont dans ses plis et replis la cartographie de ces récits et déterminent leurs enchâssements. Et si on saute allégrement du coq-à-l’âne, propre aux rêves et au théâtre parfois, ces toiles font le lien, le défont, couturent l’ensemble, paysage physique et mental, de mouvements de vagues perpétuelles en concrétions souterraines. Et c’est terriblement beau de par son artisanat volontaire.

Et ils sont formidables ces comédiens, explorateurs de nos inconscients,  qui jamais ne nous perdent dans cette pelote de fils narratifs entrecroisés qu’ils dévident sans effort, avec évidence. Qu’ils décrivent la beauté stupéfiante de la grotte de Cougnac, ses peintures rupestres, ou l’agonie hallucinatoire en plein cagnard dans la plaine de Crau de Mireille, ils sont traversés, habités par ces paysages. Ils nous embarquent dûment avec eux, ils sont notre boussole dans ce voyage au long cours, cette expédition originale à la redécouverte d’un mythe qui au final nous ramène au point de départ, le véritable but sans doute : nous-même et notre humanité. Et notre étrange capacité, notre sens inouï à toujours recommencer la catastrophe, universelle aussi bien qu’intime.

 

© Louise Quignon

 

La grande marée, conception et mise en scène de Simon Gauchet

Ecriture et dramaturgie à partir du texte de Martin Mongin

Avec Gaël Baron, Yann Boudaud, Rémi Fortin, Cléa Laizé

Collaboration artistique : Eric Didry

Assistante à la mise en scène : Nathanaël Le Pors

Conseiller scientifique : Constantin Rauer

Scénographie : Olivier Brichet, Simon Gauchet

Musique : Joachim Pavy

Costumes et textiles : Léa Gadbois Lamer

Assistée de Lara Manipoud, Sandra Meiner et Marine Baney

Construction : Olivier Brichet, Clémence Mahé

Son : Manuel Coursin

Régie son : Manuel Coursin et Marine Iger (en alternance)

Lumière : Claire Gondrexon

Régie lumière : Claire Gondrexon et Anna Sauvage (en alternance)

Régie générale et régie plateau : Ludovic Perché et Lucile Réguerre (en alternance)

Accompagnement et conseil : Frédéric Payn

 

Du 9 au 24 novembre 2023 à 20h

Samedi à 18h, relâche le dimanche

 

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris

 

Réservations : 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

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