© Arnaud Bertereau
ƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette
Aymeline Alix a découvert le texte de Raphaël Gautier, La grande dépression, en 2023, lors d’une séance au Bureau des lectures de la Comédie-Française, où une foule d’éclats de rire avait survolé cette satire sociale mêlant hier et aujourd’hui. Le « hier » étant la montée du fascisme en Allemagne dans les années trente. À travers des évènements réels ou inventés, on croise Hitler, Goebbels, Leni Riefensthal, et aussi Walt Disney qui s’était trouvé plutôt séduit par cette dictature antisémite, ceci jusqu’en 1941 et Pearl Harbour. (Notons en passant que de son côté Hitler avait été ému par Blanche-Neige et les sept nains dès sa sortie en 1937.) Et le « Aujourd’hui » est le cabinet d’une psychiatre lors de séances avec un de ses patients, nageant entre Mickey, Simba du Roi Lion et d’autres encore questions plus sombres issues de ce qui l’englobe d’une façon douloureuse, ce qu’il appelle un « théâtre magique » l’engluant. Des souvenirs plus très frais, justes ou non, coincés en lui de toute façon, allant et venant.
Ces six comédien-nes vont nous offrir rien de moins que quarante-trois personnages, petits ou grands, entre Hitler et Mickey donc, des vrais, des faux, des vrais tartinés de faux et l’inverse, histoire de s’amuser un peu. La grande dépression, mystère économique, maladie partagée. Les personnages en rajoutent, soulignent et tentent de tout faire rebondir, tout le temps, non-stop. Un peu trop même. Il y a beaucoup de rire dans la salle, c’est vrai, mais ils semblent toujours venir des mêmes sièges sans vraiment s’étendre. Cet anti-héros errant en hôpital psychiatrique est certes séduisant mais on ne trouve pas en lui le même intérêt que son psy. Cette pluie de personnages, cette alternance d’époque est amusante, intéressante, un peu. On se demande si cette joyeuse troupe ne s’amuse pas davantage que nous. Ce serait toujours ça. 1934/2025, on souffle puis à nouveau 1934/2025. Encore et encore, vite, les pauses sont bannies et nous, condamnés à la réflexion, avec l’étrange impression que cette pièce a été écrite demain… On est surpris parfois, ils sont six sur scène et ici ou là nous entourloupent, nous perdent, nous emportent. Ils nous font alterner l’immense sourire et le presque soupir, on passe de l’un à l’autre. On s’amuse, on s’ennuie. C’est selon.
Le « théâtre magique » nous offre aussi ces immanquables clignotements lumineux, que serait-il sans cela ? Quand c’est magique, ça clignote, sinon comment mieux emporter le spectateur vers une errance amusante ? C’est lassant. Mais en même temps, dans ces réclamations de hurlements de rire, on ressent la force de l’histoire, sa capacité à faire mal, mentir et faire perdre la tête, perdre la vie. La grande dépression, la psychiatrie, les malades, les idées nouées, les souvenirs, une dinguerie de plus en plus marquée. Plus le temps passe plus nous étouffons, nous sommes perdus, pris. Mais contrairement à ce que l’on ressent, La grande dépression fonctionne, nous offre une voie pour lutter contre certains dangers grimpants, nous fait croire que nous nous lassons alors que non, nous sommes simplement devenus fous. Et abonnés au journal de Mickey.
© Arnaud Bertereau
La grande dépression, de Raphaël Gautier
Mise en scène d’Aymeline Alix
Avec : Chadia Amajod, James Borniche, Christian Cloarec, Nathan Gabily, Agnès Proust, Stanislas Roquette
Collaboration artistique : Pauline Devinat
Dramaturgie : Lillah Vial
Musique : Nathan Gabily
Scénographie : Fanny Laplane
Lumières : Alban Sauvé
Costumes : Pauline Juille
Régie générale : Félix Lecloarec
Du 8 mars au 6 avril 2025
Du mardi au samedi à 20h30
Le dimanche à 16h30
Durée du spectacle : 1h20
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie – Route du Champ-de-Manœuvre
75012 Paris
Réservation : 01 43 28 36 36
Adresse du site email : www.la-tempete.fr
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