© Pauline Le Goff
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Jusqu’à présent Nicolas Lambert était sans doute le meilleur représentant en France du théâtre documentaire. Avec sa trilogie L’A-Démocratie, il nous avait impressionné par son agencement, digne de Piscator, de documents écrits et sonores pour faire le procès de la politique française en matière de pétrole (Elf, la pompe Afrique), nucléaire (Avenir radieux une fission française) et armement (Le Maniement des larmes).
C’est une nouvelle série (Le Théâtre des Opérations) que l’auteur-metteur en scène-comédien ouvre, à nouveau au théâtre de Belleville, avec un titre toujours en forme de jeu de mots, La France, Empire, qui cette fois tente de comprendre la manière selon laquelle la France s’engage dans les conflits armés. Mais avant de parcourir la grande Histoire, Nicolas Lambert entre par son histoire personnelle et familiale qui débute avec sa réaction à un sujet de brevet des collèges que doit traiter sa fille (« Montrez en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union européenne ») qui provoque son incrédulité devant une forme de récit national imposé. S’ensuit un flash-back vers sa propre enfance, dans les années 60 en Picardie, partagée entre les disputes des parents, la sensibilisation par les grands-parents à une certaine mémoire collective, et les surprises qu’offre la langue française.
On regrette de dire que ces détours par l’intime ne nous ont pas vraiment convaincue, ni dans leur utilité, ni dans la forme scénographique et la mise en scène, Nicolas Lambert se limitant à des déplacements sans originalité, en dépit des lumières efficaces d’Erwan Temple et des beaux noirs précédant les discours et les imitations, et parfois même un peu empruntés ou embarrassés par le recours à des antisèches sur un pupitre en milieu de plateau, le spectacle n’étant visiblement pas tout à fait encore rodé le soir de première. On est ainsi paradoxalement dans une dramaturgie beaucoup moins intéressante que ce que produisait la maîtrise et la virtuosité des précédentes pièces et dans une forme de vacuité de cet entremêlement.
En dépit de ces imperfections qui seront certainement pour partie oubliées sous peu, et si l’on accepte de passer au-dessus de ces détours par l’intime, Nicolas Lambert parvient à convaincre en revenant sur des lieux communs et des zones d’ombre de l’Histoire française, en décortiquant la « désintégration » de sa région natale, mais surtout en cherchant à (nous faire) comprendre plus globalement le démantèlement de l’Empire républicain français, une sorte de sujet tabou dans nos manuels scolaires. On sait que ce n’est que depuis une vingtaine d’années que l’on parle officiellement de Guerre d’Algérie, alors que jusqu’en 1999, on évoquait pudiquement et publiquement les « évènements ». Mais qu’a-t-on retenu ou même connaît-on l’écrasement de l’insurrection en Syrie en 1926, à Madagascar vingt ans plus tard, du bombardement à Haïphong en 1946, de la guerre au Cameroun en 1957 ? Quelques exemples d’épisodes sanglants, largement passés dans les oubliettes de la moulinette républicaine française. Même si la démarche frôle parfois le didactisme (l’histoire de la numérotation de la carte d’identité entre autres), on prend plaisir à retrouver Nicolas Lambert dans l’imitation des chefs d’États successifs (les plus réussis étant de Gaule et un certain Nicolas) comme dans ses précédents opus.
© Pauline Le Goff
La France, Empire
Conception (texte et mise en scène) : Nicolas Lambert
Collaboration artistique : Sylvie Gravagna
Création lumière : Erwan Temple
Avec : Nicolas Lambert
Durée : 1h20
Du mercredi (21h15) au dimanche (15h) jusqu’en juin 2024
Relâche les 17 avril et 4 mai
Puis au Festival Off d’Avignon du 2 au 21 juillet 2024
Théâtre de Belleville
16 passage Pivert
75011 Paris
www.theatredebelleville.com
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