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La Force qui ravage tout, de David Lescot, mise en scène de David Lescot, Théâtre de la Ville/Espace Cardin  

Jan 23, 2023 | Commentaires fermés sur La Force qui ravage tout, de David Lescot, mise en scène de David Lescot, Théâtre de la Ville/Espace Cardin  

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

 

 

Surprise ! Ce n’est pas un morceau de guitare électrique ou de batterie qui ouvre la dernière création du talentueux auteur-metteur en scène-compositeur-acteur David Lescot, mais un morceau d’opéra baroque ! Un passage de L’Orontea d’Antonio Cesti pour être exact, l’air « Addio Corrindo » de Silandra pour être encore plus précis.

La Force qui ravage tout est une comédie musicale pour 11 comédiens-chanteurs-danseurs et 4 musiciens, qui emprunte les mêmes ressorts et procédés que l’extraordinaire Une femme qui se déplace, la précédente comédie musicale de David Lescot et sa compagnie du Kaïros, que l’on avait adorée il y a trois ans au Théâtre des abbesses (Théâtre de la Ville). Une grande partie de la distribution est à l’identique, ce qui favorise sans doute l’énergie complice bien perceptible dans ce tourbillon scénographique minutieusement orchestré, dans cette mise en scène et chorégraphie encore une fois millimétrées (l’excellente scène d’ouverture notamment), dans ses procédés dramaturgiques (l’arrêt du temps, le dérèglement soudain de l’ordre des choses) et présence commune de plusieurs thèmes (l’amour !) et sous-thèmes sérieux (la critique du fonctionnement bureaucratique et en proie au lobbying de l’Union européenne) ou plus anecdotiques (la qualité médiocre des restaurants ; la place du téléphone portable dans le quotidien), dans un format identique (2 heures environ ; musiciens en arrière-plan mais omniprésents).

Si dans Une femme qui se déplace, un rire irrépressible saisissait à tous bouts de champs le spectateur même le moins disposé, par ailleurs chaviré par la voix de la superbe et puissante Ludmilla Dabo, les parties vocales (diversement maîtrisées) sont plus largement distribuées et donc diluées dans La Force qui ravage tout, et même si de nombreux ressorts comiques sont toujours présents et que le public y réagit bien, une forme de mélancolie plane. Une plus grande gravité est en effet perceptible dans cette ode à l’amour, mais aussi à l’art et à la création, dans cette foi inébranlable que l’art donne du sens à la vie et peut changer une/des vies/s, possiblement de manière irrémédiable ou dévastatrice.

David Lescot, qui sait naviguer entre le théâtre jeunesse (J’ai trop peur ; J’ai trop d’amis) et l’adaptation des textes les plus sombres et exigeants (celle de Derniers jours de l’humanité de Karl Kraus en 2016 au Vieux-Colombier est pour la présente chroniqueuse son spectacle le plus impressionnant), finit d’achever l’air de rien, la croyance en la permanence du sentiment amoureux, stimule la réflexion sur les effets dans le temps d’une œuvre art (qui creuse lentement mais surement des sillons dans la perception et l’émotivité du « receveur »), balaye le discours politiquement correct dans ses problématiques sociétales (l’homosexualité par exemple) et politiques les plus récurrentes et les plus actuelles (le débat parlementaire européen inspiré du Roundup où l’argument écologique n’est qu’un faire-valoir par exemple). C’est bien vu
et finalement assez grinçant.

La Force qui ravage tout est-elle tout sauf un remake de la Forza del Destino, rapprochement que l’on ne peut éviter avec un tel choix de titre ? Le pessimisme de Verdi n’est pas de mise, bien au contraire, et même si les personnages dont la seule activité importante et intéressante (sans que la plupart s’en rendent compte comme dans la vraie vie) est le(s) lien(s) amoureux, semblent soumis à une force qui les dépassent, surnaturelle ou divine selon les croyances et époques de leurs créateurs (qui ont composé leurs deux « Force » au même âge, à peu de chose près) et dont le caractère implacable vient s’imposer à eux, l’épilogue de David Lescot laisse une plus grande ouverture et de multiples (et pas si simples) interprétations possibles sur nos inlassables quêtes de ou de ce qu’est l’Amour, de ses dangers face à son inconstance, de cette maladie contagieuse et d’une grande violence.

On ne poussera pas plus loin la comparaison peut-être hasardeuse ou (trop) audacieuse et on ne pourra qu’encourager à aller vérifier par soi-même à l’espace Cardin (ou durant sa tournée) et d’acheter le texte publié aux Solitaires intempestifs (qui offre la possibilité d’écouter les musicales et chantées grâce à un QR code en fin de volume !) en n’oubliant surtout pas de demander à son accompagnateur-trice de la soirée, ou de n’importe quelle connaissance croisée à la sortie du théâtre : « Alors, ça t’a plu ? ». Les réponses à la sortie de la première, depuis l’avenue Gabriel au métro Concorde en passant devant l’hôtel Crillon, étaient presque aussi variées que dans la scène d’ouverture ! Le pari est donc gagné…

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

La Force qui ravage tout, texte, Mise en scène, Musique : David Lescot

 

Assistant à la mise en scène : Aurélien Hamard Padis

Chorégraphie :  Glysleïn Lefever assistée de Rafaël Linares Torres

Direction musicale : Anthony Capelli

Scénographie : Alwyne de Dardel assistée de Claire Gringore

Assistance accessoires : Inês Mota

Costumes : Mariane Delayre

Perruques : Catherine Saint Sever

Lumières : Matthieu Durbec

Son : Alex Borgia

 

Avec : Candice Bouchet, Elise Caron, Pauline Collin, Ludmilla Dabo, Marie Desgranges, Matthias Girbig, Alix Kuentz, Emma Liégeois, Yannick Morzelle, Antoine Sarrazin, Jacques Verzier

Et : Anthony Capelli, Fabien Moryoussef, Philippe Thibaut, Ronan Yvon

 

Durée 2h

 

Jusqu’au 27 janvier 2023, à 20h

 

Théâtre de la Ville / Espace Cardin

1 avenue Gabriel – Paris 8ème

 

Réservations : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

Tournée : du 1er au 4 février au CDN de Tours, du 28 février au 1er mars au Château rouge à Annemasse, le 10 mars au Théâtre de Rungis, du 16 au 17 mars à la Scène nationale de Perpignan, du 25 au 27 mai au MAC de Créteil, le 8 juin à la Scène nationale de Quimper

 

 

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