© Vincent Pontet
ff article de Denis Sanglard
Première mise en scène d’opéra pour Cédric Klapisch. Pour un premier essai, c’est encourageant. Ce n’est certes pas la mise en scène du siècle et le regard qu’il pose sur La Flûte enchantée de Mozart est plutôt timide, fait de modestie. Mise en scène extrêmement stylisée, épurée et sans extravagance ni débordement, une illustration vivement colorée et sciemment, joliment naïve. Plateau le plus souvent nu, scénographie réduite à l’essentielle. Quelques troncs sculptés et bleus pour forêt, arcades métalliques pour le temple de Sarastro, rideaux blanc pour délimiter l’espace, et quelques projections sans en abuser (illustrations animalières animées de Stéphane Blanquet). C’est vrai que cela manque un peu de relief, de magie même, mais ces défauts ont une vertu, souligner l’extrême théâtralité de cette œuvre, appartenant au singspiele qui accuse l’importance des dialogues parlés en langue vernaculaire. Dialogue réécrit pour l’occasion, lui apportant une touche de modernité certaine, d’humour beaucoup, qui aborde quelques thématiques contemporaines ; Pamina est ravie qu’on lui demande son consentement, Papageno devant l’injonction de se comporter en homme répond que cette réplique sonne un peu trop genrée pour l’époque ( 1791, sic), Sarastro parle de l’état du monde et de progrès et de science… Théâtralité qui demande aux chanteurs d’être dirigés au cordeau, et l’on ressent que Cédric Klapisch est bien plus à l’aise dans cette partie-là, abordant volontairement semble-t-il cette œuvre par son versant théâtral. Cela peut dérouter, et ne méritant certes pas les huées entendues, d’autant plus que les dialogues sont en français, ce qui a le mérite d’être compréhensible. Et ne choque pas plus que ça alors même que les parties chantées sont en allemand. Il faut s’y faire et l’on s’y fait très vite.
Il y a dans cette mise en scène théâtrale et par cela même quelque chose de foncièrement concret, d’immédiat et dans les caractères des personnages une complexité débarrassée des clichés du genre collés généralement sur les personnages de cet opéra. Pamina, Tamino et particulièrement Papageno acquièrent ici une épaisseur voire une complexité certaine. Facilité par l’aisance des chanteurs dans le registre de la comédie qui passent sans effort du parlé au chanté, dans une heureuse continuité sans aucun heurt. Avec cette impression que le chant est nourri de cette théâtralité imposée et lui donne là-aussi une concrétude dans les sentiments, l’expression des émotions. Comme le disait Maria Callas, on ne chante pas Mozart sur la pointe des pieds. Oui, même si on peut regretter que l’appareil opératique soit réduit à sa plus simple expression pour un opéra qui demande aussi du merveilleux et un certain éclat. Et dommage que la fin soit franchement ratée par son hiératisme soudain, convenu, alors que l’ensemble était aussi tenu par une chorégraphie des corps, pas toujours inventive mais dynamique sans jamais aller à l’encontre du chant (à l’exemple des Trois Dames de la Nuit qui vibrionnent et toupillent).
Dans la fosse François-Xavier Roth fait résonner la partition avec bonheur, auquel répond avec justesse l’orchestre Le Siècle. En soulignant les contrastes et les écarts sans ménagement. Ça murmure et ça tonne d’un même élan. Lui aussi donne une épaisseur dramaturgique à l’ensemble. Jusqu’à suspendre parfois les silences, ménageant des effets dramatiques. Autorisant même l’échappée solitaire d’instruments frondeurs. Une partition également ajourée de bruitage autres que ceux convenus (orages). Des oiseaux gazouillent et pépient, le feu crépite et l’eau cascade…
La jeunesse de la distribution est un bel atout ici qui supplée au minimalisme de la mise en scène. Régula Mühlemann, Pamina, offre à son rôle une fraicheur sans naïveté, une détermination bienvenue dans le personnage. Emouvante aussi. « Ach ich fühl’s » est d’une grande délicatesse que sa voix aux pianissimi sans défaut permet aisément. Cyrille Dubois, Tamino, est d’une grande aisance vocale ce qui lui donne une expressivité et une liberté dans le jeu non négligeable. De même, l’humour en plus, le Papageno bonhomme et franchement hilarant de Florent Kerrer, personnage « de ouf » pour reprendre sa propre réplique. Avec pour partenaire et dans le même registre, Catherine Trottmann, vive et piquante. Marc Mauillon campe un Monostatos plus drôle que méchant, touchant même. Les Trois Dames, Judith van Wanroij, Isabelle Druet et Marion Lebégue, forment un trio gémellaire accordé tant vocalement que dans leur jeu très chorégraphié. Jean Teitgen, Sarastro, est imposant de présence amplifiée par une voix venue des profondeurs. Alexandra Olczyk, rôle phare de la Reine de la Nuit, rôle attendu, ne tient pas toute ses promesses. Sa présence sur scène est rendue fragile de par le refus du spectaculaire propre au rôle et que pourrait apporter sa présence. De plus si les aigus étaient là, un léger savonnage, une tension palpable troublait son interprétation. Enfin les seconds rôles (Ugo Rabec et Blaise Rantoanina, Josef Wagner), comme le Chœur Unikanti ne déparaient pas de l’ensemble pour offrir à cet opéra sa réussite et son enchantement.
© Vincent Pontet
La flûte enchantée, de Mozart
Livret de Schikaneder
Direction : François-Xavier Roth
Mise en scène : Cédric Klapisch
Scénographie : Clémence Bezat
Costumes : Stéphane Roland, Pierre Martinez
Lumières : Alexis Kavyrchine
Créations images digitales : Niccolo Casas
Illustrations animaux et monstres : Stéphane Blanquet
Avec : Cyrille Dubois, Regula Mühlemann, Florent Karrer, Catherine Trottmann, Jean Teitgen, Marc Mauillon, Aleksandra Olczyk, Judith van Wanroij, Isabelle Druet, Marion Lebégue, Ugo Rabec, Blaise Rantoanina, Josef Wagner
Orchestre Les Siècles
Le chœur Unikanti
Enfants solistes de la maîtrise des Hauts-de-Seine, direction Gaël Darchen
Comédiens : Dennis Mader, Felix Nebel
Figurantes : Manon Chauvin, Eva Plon
Du 14 au 24 novembre 2023 à 19h30
Théâtre des Champs-Elysées
15 avenue Montaigne
75008 Paris
Réservations : www.theatredeschampselysees.fr
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