© Marie Charbonnier
ff article de Denis Sanglard
Il est parfois dommage de ne s’arrêter qu’au titre d’une œuvre, aussi maladroit soit-il, occultant de fait son contenu qui vaut bien mieux que son annonce. La fête du slip, blason un rien racoleur, est pourtant une création d’une belle acuité, d’une intelligence abrasive jusque dans l’écriture lardée d’humour corrosif, et dont le propos s’avère plus que pertinent à l’heure du retour en force du masculinisme, de ses coups de boutoir, réaction de mâles inquiets, en perte de repère et d’autorité devant les questions aussi bien de genre que de la remise en question du patriarcat, où la parole des femmes depuis #metoo se libère dénonçant désormais les violences sexistes et sexuels, et l’intolérable male gaze qui l’accompagne. Pourtant homosexuel, mais là c’est sans doute une question de génération et de milieu, Mickaël Délis n’échappait pas à cette injonction impérative et culturelle de la performance et du jouir sans entrave, qu’il définit comme un tantinet pathologique. La fête du slip n’exprime rien d’autre que le trouble d’une défaite libératoire, une remise en question salutaire de la toute-puissante verge érectile (et de ses vantards centimètres comme échelle de valeur) qui oblige à la performance jusqu’à la névrose, la compulsion jusqu’à la saturation, la perfection jusqu’au contrôle. Autrement dit, je bande donc je suis . Mickaël Délis fait de son membre suractif, et de la relation privilégiée qu’il entretient avec, le centre du monde, tourne autour comme on regarde son nombril, interrogeant cette quête performative que l’activité sexuelle compulsive et obsessionnelle dénonce pour enfin vouloir s’en affranchir. Pas facile, la route est ardue, aussi raide et parfois douloureuse qu’une bite en érection sous viagra.
Sur ce chemin de Damas il y a foule qui de sa mère, de son père, de son frère jumeau, de son agent, de feu son psy, de ses ex, d’un centre d’addiction sexuelle, de l’hôpital public et de ses médecins, et même le metteur en scène Jean-François Sivadier, ce dernier pointant lucidement de son doigt le nœud du problème de Mickaël Délis et provoquant par cette claque sévère une déflagration, sont autant de questionnements, d’obstacles et de réponses dans cette quête d’une masculinité désintoxiquée, décomplexée et débarrassée de ses couilles encombrantes, ce qui ne veut pas dire être émasculé, la question d’en avoir ou pas n’étant plus dés-lors d’actualité.
Portraits incisifs, dessinés avec beaucoup d’humour, de tendre vacherie aussi (sa mère castratrice, inénarrable), parfois de tendresse bouleversée (son père, en phase terminale), ou encore d’autorité scientifique pour caution, autant de réactions ou d’objections qui de lui et de son rapport conflictuel avec son pénis dressent un portrait éclaté mais avec une constante et une révélation, n’être que la reproduction et le produit d’un ordre social et familial, d’un milieu (la communauté homosexuelle n’échappant pas à cette injonction mais pour d’autres raisons, le VIH étant passé par là), un désastre en somme, où le genre n’étant plus qu’une construction n’a plus rien à voir avec le sexe biologique vous laisse sur le flanc. L’hubris turgescent résidant symboliquement et inconsciemment dans le chibre en érection de tout mâle normalement constitué n’est que le symptôme d’un système malade, vérolé, où l’appendice masculin conditionné dès l’enfance, conforté à l’adolescence par l’industrie pornographique, autoriserait le pire dans sa rhétorique machiste et guerrière. Mais il suffit d’une contre-performance inattendue, la débandade honteuse et redoutée, et de bras simplement ouverts sans apriori pour prendre conscience que, oui, la simple tendresse peut-être un antidote et qu’un pavillon traitreusement baissé n’empêche nullement d’aimer et d’être aimé. Dans cette mise en scène épurée qui libère le propos, éclairée astucieusement de quelques néons pour scénographie, Mickaël Délis se met à nu et sans jamais quitter son survêtement, joue un peu cabot de l’impudeur et du scabreux (relatif) de ses aveux mais avec le sel et le poivre d’un humour qui n’oblitère jamais le sérieux d’une réflexion pertinente bien plus large que ce soliloque égocentré autour de son pénis et de ses performances. Coup de pied dans les parties du patriarcat, La fête du slip c’est surtout l’histoire d’une gueule de bois et de lendemains qui débandent.
© Marie Charbonnier
La fête du slip, écriture, interprétation et co-mise en scène de Mickaël Délis
Co-metteurs en scènes : Papy de Trappes, Vladimir Perrin, David Délis
Consultant chorégraphique : Clément Le Disquay
Création lumière : Jago Axworthy
Collaboration à l’écriture : Romain Compingt
Du 8 mai au 14 juin 2024 à 21h
Les mercredis et vendredis, le dimanche à 18h
Théâtre de la Reine Blanche
2bis passage Ruelle
75018 Paris
Réservations : www.reineblanche.com
Tournées :
3/21 juillet, festival d’Avignon, Avignon Reine Blanche à 21h45
Dans le cadre d’un diptyque avec Le premier sexe, au même date à 20h15
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