© Carole Parodi & Laurent Pasche
ƒƒ article de Paul Vermersch
Dans cette proposition paradoxalement très classique de La fausse suivante de Marivaux, Jean Lermier présente une retraversée de l’intrigue actualisée, modernisée dans son esthétique, mais étrangement collée à un degré de lecture très premier : celui de la farce, du plaisir de la résolution d’une acmé dans le suspense. Malgré des tentatives d’ouverture plus subtiles, qui prendraient davantage en charge l’ambiguïté permanente du texte, et des acteur·ices très engagé·es dans des partitions dont on lit facilement l’exigence et la précision, le spectacle ne se défait pas de sa théâtralité un peu convenue et plafonne dans un talent.
Pour la plus grande joie du spectateur, on retrouve au plateau une intrigue toute emberlificotée, comme il y a toujours chez Marivaux : le jeune Lélio a contracté, avec une Comtesse qu’il doit épouser, un prêt d’une importante somme d’argent qui devra être remboursée au cas où l’un ou l’autre romprait cette promesse d’union. Ayant dans le même temps pour projet de prendre pour épouse une « demoiselle de Paris », qui lui fournirait une dot beaucoup plus conséquente, il profite de la présence d’un « Jeune Chevalier » lors d’un séjour à la campagne pour essayer de se désengager de son contrat, en demandant à ce jeune homme de séduire la Comtesse (le Chevalier étant en réalité la « demoiselle de Paris » travestie, qui vient s’assurer de la vertu de son prétendant). Dans une dramaturgie propre à l’auteur qui, de dévoilement en dévoilement, amène les personnages à faire tomber progressivement leur masque sous les yeux complices du public, on redécouvre le classique imprégné d’une atmosphère années 70, dans un intérieur bourgeois assez design, et sur un plateau, dont le fond se découvre et s’ouvre sur une forêt enneigée.
La question du travestissement, la différence d’âge entre la Comtesse et ses prétendants (au plateau incarnée par une actrice très nettement plus âgée que les deux jeunes hommes), la hiérarchie établie entre valets et maîtres (d’ailleurs redistribuée d’un coup lorsque les domestiques comprennent que le Chevalier est en fait une femme, et qu’ils se mettent alors à lui tenir tête, à essayer de l’embrasser, de l’abuser) ont de quoi ouvrir le champ de la représentation sur une myriade de rapports de force que la pièce ne fait qu’esquisser, au bénéfice d’une théâtralité assez poussive dont on se lasse un peu. Le traitement de la tentative de séduction de la Comtesse par le Chevalier reste assez peu lisible : le jeu très convenu des deux actrices, qui se perd un peu dans des compositions parfois très senties, parfois assez plaquées, ne donne pas vraiment accès à la complexité de ce qui pourrait se jouer entre les deux personnages. Quand la pièce se termine et que la mise en scène vient suggérer que « la jeune demoiselle de Paris » pourrait en fait préférer la Comtesse à Lélio, on est très surpris, car ce à quoi on assiste tout du long du spectacle c’est à une jeune femme ravie de tromper un jeune arriviste, qui prend plaisir à surjouer une séduction qui semble toujours très feinte, et dont la Comtesse, qui nous apparaît comme une femme un peu passive, accepte bravement tous les excès comme s’ils étaient crédibles.
La possibilité d’un lesbianisme, ultimement catapultée d’une manière assez forcée n’opère pas vraiment, dans la mesure où rien n’y mène, et que la direction d’acteur se concentre davantage sur la composition de ces figures assez figées, assez convenues, assez peu sensibles, plutôt que d’explorer des relations plus équivoques, plus troubles. Si le projet était que la Comtesse découvre un pan de sa vie romantique et sexuelle qui lui était inconnu avec cette autre jeune femme, la proposition manque de radicalité. En l’état, ce dénouement paraît trop artificiel, on sent qu’on ne fait pas confiance aux spectateur·ices pour distinguer le vrai du faux, au risque (ou plutôt avec la possibilité réjouissante) de s’y perdre et d’être surpris par des dénouements inattendus. Avec cette théâtralité un peu écrasante, on martèle plutôt les quiproquos, en insistant lourdement par ces compositions un peu caricaturales sur ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, sur qui est trompé et qui ne l’est pas. Et c’est ce geste un peu trop volontaire qui prend toute la place, et qui finit par frustrer : les possibilités d’une véritable actualisation du propos (qui ne se limiterait pas qu’au costume) n’en restent qu’à l’état d’hypothèse.
De la même manière, on entrevoit dans cette mise en scène de La Fausse Suivante la terrible solitude de cette Comtesse, plus âgée que ses prétendants, dont on sent que l’âge pourrait être l’une des raisons qui la mènent à se laisser traiter si durement par des jeunes hommes qui se jouent d’elle et se permettent tous les éclats. Mais, finalement, elle aussi se fait engloutir par la tentation de la farce, pour davantage nous apparaître comme une bourgeoise colérique que comme une femme prise dans la violence de rapports de séduction dans lesquels elle ne peut répondre qu’inégalement. En clair, sur ce dernier point comme un peu partout tout au long de la pièce, si l’engagement des comédien·es pallie un peu cette « non-prise de risque » de la mise en scène, on sort de salle déçu·es que le geste se soit satisfait de sa propre efficacité. La promesse d’une relecture du classique n’est pas vraiment tenue et l’on sent que les effets de mise en scène (ouverture sur une forêt enneigée, effets de réels avec le mobilier de la maison, mélancolie de la sobriété de la scénographie et de la conception sonore) habillent le texte et ses rouages implacables plus qu’ils n’en proposent une interprétation vraiment nouvelle.
© Carole Parodi & Laurent Pasche
La Fausse Suivante, de Marivaux
Mise en scène par Jean Liermier
Assistanat à la mise en scène : Katia Akselrod et Amélie van Berchem
Scénographie et costume : Rudy Sabounghi et Vérana Gimmel
Lumières : Jean-Philippe Roy
Son : Jean Faravel
Maquillage et perruques : Cécile Kretschmar et Emmanuelle Ollivet Pellegrin
Construction du décor : Christophe Reichel, Jimmy Verplancke
Peinture du décor : Eric Vuille
Modélisation du décor : Julien Soulier
Impression de la toile de fond : Peroni
Couture : Giulia Muniz et Cécile Vercaemer-Ingles
Teinture des costumes : Aurore de Geer
Du 05 au 14 juin 2025
Durée : 2h10
Théâtre National Populaire
8 place Lazare-Goujon
69100 Villeurbanne
Réservations : 04 78 03 30 00
www.tnp-villeurbanne.com
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