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« La Double Inconstance » de Marivaux, à la Comédie Française

Déc 05, 2014 | Commentaires fermés sur « La Double Inconstance » de Marivaux, à la Comédie Française

ƒƒ article de Victoria Fourel

cda81c0425b35c24c628daaa8f2900a3Dans le foyer des comédiens de la Comédie Française se prépare la représentation de La Double Inconstance. Le public est plongé dès le départ dans un double-jeu entre la réalité et la fiction, entre l’époque actuelle et une époque lointaine, entre le personnage et le comédien. C’est la proposition de mise en scène que fait Anne Kessler, en faisant entrer le spectateur dans ce temps de préparation des spectacles, dans sa dynamique et son côté méconnu. Ainsi, le décor, et ses mouvements transmettent l’effervescence, l’énergie et l’application que demande le travail sur un spectacle, et fait ainsi résonance à l’intrigue de la pièce de Marivaux : un Prince, qui doit choisir son épouse parmi ses sujettes, fait enlever Silvia et son amant Arlequin, dans le but de les convaincre de renoncer à leur attachement, et de cette façon, conquérir Silvia.

Ainsi, on assiste à une mise en abyme soignée, où des images modernes et ingénieuses (un miroir de salle de danse transformé en écran, un oiseau mécanique qui vole à travers le plateau), se mêlent à la langue énergique et précise de Marivaux. Grâce à la constance infaillible de ses comédiens, la metteure en scène rend grâce à cette langue actuelle et propice aux joutes verbales, donnant lieu à de brillants échanges. La version que Loïc Corbery donne par exemple du Prince, efféminé, pourri gâté et nonchalant, est particulièrement réjouissante. Le spectacle parvient ainsi à transmettre sans difficulté le principal dessein de la pièce : montrer comme il est facile de se laisser tenter par la frivolité et les agréments malgré nos sentiments, que l’on croyait purs.

On a pourtant l’impression que le côté chic, le côté délicat et sensuel du lieu de répétition, n’aide pas le propos en profondeur. En effet, pas une fois l’accent n’est mis sur le fait que Silvia a bel et bien été enlevée. Que le Prince, par la manipulation, use finalement d’une grande violence, violence qui lui est pourtant interdite. Que les valets Flaminia et Trivelin ont ici un rôle de marionnettistes tragiques et que les deux amants enlevés en sont les victimes. Donner plus de facettes différentes aux personnages aurait peut-être pu éviter cet écueil, car la direction d’acteurs notamment, pousse les comédiens à une parole et à des attitudes légères, donnant l’impression que rien ici n’est grave. Peut-être est-ce le cadre qui donne cette impression, mais tout semble être jeu, et l’on aurait aimé voir le côté terrible de cette machination, la froideur de la manipulation opposée à l’innocence des deux amoureux. Dans cette version de La Double Inconstance, tout le monde, y compris les manipulateurs, semblent naïfs et légers. On peut dès lors craindre de tomber dans la moquerie des caractères, chose qu’évite de faire le texte. On perd également tout un pan du propos.

Mais le choix n’est pas inintéressant, étant donné qu’une bonne partie des personnages (comme Lisette, interprétée par Georgia Scalliet) profitent de ce parti pris d’Anne Kessler, rendant le texte drôle à tout instant, laissant la place à l’imprévu de la répétition, et emmenant Marivaux dans un univers acidulé, romantique, naïf, presque comédie musicale. Les défauts du spectacle en sont donc également ses plus grandes qualités, en donnant de belles images de groupe (et de troupe), et en transmettant un plaisir non dissimulé à rire des personnages, de leur naïveté, et de la méchanceté inconsciente qui en découle. En mettant à l’épreuve le couple d’amoureux, cette Double Inconstance embarque par la même occasion son public dans cette langue incisive cachée dans un gant de velours, dans ce décor réaliste mais onirique, dans ces personnages légers mais manipulateurs, bref, dans un marivaudage actuel et chic.

La Double Inconstance
De Marivaux
Mise en scène par Anne Kessler
Scénographie de Jacques Gabel
Dramaturgie de Guy Zilberstein
Costumes de Renato Bianchi
Lumières d’Arnaud Jung
Réalisation sonore et vidéo : Nicolas Faguet
Avec Catherine Salviat (un seigneur), Eric Génovèse (Trivelin), Florence Viala (Flaminia), Loïc Corbery (le Prince), Stéphane Varupenne (Arlequin), Georgia Scalliet (Lisette), Adeline D’Hermy (Silvia) et les élèves-comédiens de la Comédie Française Claire Boust, Ewen Crovella, Charlotte Fermand, Thomas Guené, Solenn Louër, Valentin Rolland

Du 29 novembre au 1er mars 2015

La Comédie Française
Salle Richelieu
Place Colette
75001 PARIS

Métro Palais-Royal Musée du Louvre (Lignes 1 et 7)
www.comedie-francaise.fr

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