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La Dame de la mer, de Henrik Ibsen, mise en scène de Géraldine Martineau, à la Comédie-Française (Vieux-Colombier)

Fév 18, 2023 | Commentaires fermés sur La Dame de la mer, de Henrik Ibsen, mise en scène de Géraldine Martineau, à la Comédie-Française (Vieux-Colombier)

 

 

© Vincent Pontet

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Après une première mise en scène au Français (Studio-Théâtre) de La Petite Sirène, Géraldine Martineau a choisi pour sa seconde sollicitation un autre personnage singulier dans sa relation avec l’élément marin, La Dame de la Mer, une des pièces d’Ibsen qualifiées de féministes, mais bien moins bien connue qu’Une maison de poupée ou Hedda Gabler et dans laquelle une dimension fantastique s’ajoute à l’approche que l’on croit d’emblée n’être que naturaliste et psychologique.

Au bord d’un fjord norvégien, Ellida vit avec le Docteur Wangel et ses deux filles d’un premier mariage. Le surnom de « la dame de la mer » lui a été donné en raison des bains quotidiens qu’elle prend et dont on comprend rapidement qu’ils sont le moyen de fuir le cadre étouffant du calme de la maisonnée où se concurrencent l’amour de son mari et l’hostilité latente de ses belles-filles, toujours dans une forme de deuil de leur mère.

Le choix scénographique de présenter un décor unique permettant de passer en quelques pas de la maison au fjord en passant par la forêt est astucieux, alors même qu’il était risqué sur le petit plateau du Vieux-Colombier. Mais cela fonctionne bien, à part peut-être le côté un peu artificiel de la marche au ralenti des protagonistes pour essayer de faire croire à une longue distance parcourue.

Si tous les comédiens jouent de manière irréprochable, certains sont moins convaincants que d’autres. On a plus particulièrement été séduite par les rôles féminins, à commencer par les deux sœurs (jouées par Elisa Erka et Léa Lopez) et surtout par Géraldine Martineau dans le rôle-titre. Elle a une forme d’étrangeté intrinsèque idéale pour ce rôle de femme torturée à la fois par une aventure passée qui la hante, et par son désir profond d’émancipation en dépit de l’amour déclaré par son époux. Son mal-être apparent, dépression ou autre pathologie, sous l’influence des conditions à la fois météorologiques, psychologiques, et sociales sert de base de réflexion à la question du déni, des refoulés féminins et des secrets de famille.

Alors que cette pièce est systématiquement présentée comme féministe, elle l’est peut-être moins qu’elle n’en a l’air ou que cela est systématiquement souligné. Géraldine Martineau reste dans cette vision consensuelle du féminisme d’Ibsen que l’on relie toujours à celui de sa propre épouse, ainsi que le modèle qu’aurait constitué sa belle-mère (elle-même écrivaine norvégienne) et l’on a envie d’y croire. Pourtant, même s’ils sont présentés avec humour (dans le texte stricto sensu, comme dans la mise en scène) pour mieux en souligner le ridicule, les discours ou esprit paternalistes d’Arnholm, l’ancien professeur, et misogyne de Lyngstrand, le jeune pseudo artiste malade, ne sont que très partiellement remis en cause par les réactions et réponses des jeunes femmes. Ensuite, certes ce n’est qu’une fois que le docteur Wangel a enfin compris la charge qui pèse sur sa deuxième épouse et qu’il a accepté de se remettre en cause, à la fois s’agissant de son savoir médical, mais aussi de ses perceptions d’homme dans son couple, qu’Ellida peut faire un « choix » en décidant de rester avec son mari en prenant sa « responsabilité » selon les termes mêmes d’Ibsen d’une grande clairvoyance et modernité au regard des connaissances psychanalytiques parcellaires de l’époque à laquelle il a publié La Dame de la mer (1888). Mais ce choix qu’il prête à Ellida semble bien plus une décision de raison que d’émancipation, celui d’un amour de reconnaissance plutôt que de passion, une forme de renoncement plutôt que de liberté, voire même une nouvelle crise émotionnelle plutôt qu’un libre-arbitre assumé.

La mise en scène de Géraldine Martineau a le mérite de faire découvrir ou redécouvrir avec poésie la pièce d’Ibsen que chacun appréhendera selon sa propre sensibilité ou expérience, et aussi de révéler une comédienne fascinante, une ondine plus vraie que nature qui transporte la salle du Vieux-Colombier dans un espace-temps fabuleux, dont le plafond ressemblant à la coque inversée d’un bateau semble n’avoir jamais été aussi bien habité.

 

© Vincent Pontet

 

 

La Dame de la mer de Henrik Ibsen

Version scénique et mise en scène : Géraldine Martineau

Traduction : Maurice Prozor

Scénographie : Salma Bordes

Lumière : Laurence Magnée

Costumes :  Solène Fourt

Musique originale et son : Simon Dalmais

Travail chorégraphique : Sonia Duchesne

Collaboration artistique : Sylvain Dieuaide

Assistanat à la mise en scène : Elizabeth Calleo

 

Avec :  Alain Lenglet, Laurent Stocker, Benjamin Lavernhe, Clément Bresson, Géraldine Martineau, Adrien Simion, Elisa Erka, Léa Lopez

 

Du 25 janvier au 12 mars 2023 à 20h30

le dimanche à 15h, relâche le lundi

Durée 1h55

 

La Dame de la mer

Comédie-Française – Vieux-Colombier

21 rue du Vieux-Colombier

Jusqu’au 12 mars 2023, à 20h30 et 15h les dimanches

 

Réservations : www.comedie-française.fr

 

 

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