Critiques // La Collection d’Harold Pinter, mise en scène de Thierry Harcourt, Théâtre de Paris

La Collection d’Harold Pinter, mise en scène de Thierry Harcourt, Théâtre de Paris

Fév 09, 2018 | Commentaires fermés sur La Collection d’Harold Pinter, mise en scène de Thierry Harcourt, Théâtre de Paris

ƒƒƒ Article de Corinne François-Denève

 © DR

Trois garçons, une fille, tant de possibilités. Bill, couturier, vit avec Harry, un homme plus âgé, venu d’une sphère sociale plus haute. La cohabitation, dans la belle maison d’Harry, mélange de tendresse bourrue et de querelles quasi-matrimoniales, est troublée, une nuit, par un coup de téléphone impromptu. Un inconnu veut parler à Bill. Bientôt, il va sonner à la porte  des deux hommes. Que veut-il ? Pas grand chose. Il semblerait que Bill ait couché avec la femme de l’inconnu. Stella, la femme volage, est d’ailleurs aussi couturière. James, le mari, est terriblement jaloux, et diablement inquiétant. Bill semble reconnaître volontiers les faits. Lui et le mari, James, deviennent presque amis. Reste la douleur d’Harry, qui tient à Bill, sans doute, par une de ces amitiés particulières qu’il est difficile de verbaliser, dans cette Angleterre « sixties ». Les Beatles triomphent. Ce sont quatre garçons dans le vent – dans le vent d’une sexualité rassurante, surtout. Mais peut-être ne s’est-il rien passé. Cela vaudrait de toute façon sans doute mieux.

La mise en scène de Thierry Harcourt respecte les idées de Pinter : séparation du plateau en deux espaces, présence d’une cabine téléphonique au seuil de la scène. Tandis que Harry et Bill se disputent, Stella et James vaquent à leurs occupations, presque à leurs côtés. La hantise inconsciente ou le harcèlement volontaire d’un personnage sur l’autre sont ainsi matérialisés. Le métier des comédiens fait le reste : tout ce petit monde se croise sans se voir, mais en étant obsédé par l’autre, dans des diagonales parfaites. La scénographie est impressionnante, volumineuse. Comme Pinter le voulait, une sortie à jardin, une autre à cour, et un escalier dérobé qui monte vers les chambres, la sexualité ? Sur les murs, un papier bleu comme on en trouve chez les couturiers. Il s’agit d’un patron que l’on découpe selon les tailles. Mais ce patron dessine aussi une cartographie de la pièce, puisqu’il indique Leeds, la ville de la « chute » de Bill et de Stella. C’est aussi une métaphore du théâtre, esquissant, par exemple, en son absence physique, la silhouette d’une cheminée, et, dedans, celle d’un feu virtuel, décliné en trois tailles, à découper sans doute en vertu de l’incandescence du moment.

La pièce de Pinter n’a pas vieilli, même si on ose croire que les sous-entendus d’alors ne sont plus nécessaires aujourd’hui. La relation qui lie Harry à Bill n’est jamais explicitée. De nos jours, cette nuance est une beauté de plus, qui apporte un je ne sais quoi de pudeur et de mystère. La Collection ne parle que de liens de couples, de sexualité, de secrets et de non-dits. Elle le fait avec une rare délicatesse, et avec le talent qu’a Pinter de disséquer les rapports entre les individus, de questionner le langage, en faisant alterner, avec un art consommé, scènes dramatiques et scènes burlesques. Il est question de lapins, d’olives, d’un duel au couteau à fromage.

A ce jeu de répliques, de réparties, affaire de rythme et d’instinct de jeu, les trois acteurs excellent. Nicolas Vaude, farfadet psychopathe ou pauvre mari doublement trompé, est merveilleux, déclenchant les rires rien qu’en lançant : « Bill Lloyd » ? Il prête sa grâce de danseur de corde à ce personnage bipolaire, qui oscille entre la folie et la candeur, dont on ne sait si on doit le craindre ou le plaindre. Thierry Godard campe le solide Harry. Les deux pieds bien plantés dans le sol, sûr de son statut social, de sa richesse, le colosse aux pieds d’argile a aussi une inquiétante fêlure, la terreur d’un amour (à sens unique ?) qui pourrait s’en aller, pour une créature de hasard, alors que lui, Harry, a sorti cette « limace » de Bill des « bas-fonds », pour lui donner toutes les chances. Dans le rôle de la petite gouape sans volonté, prête à dire ce que l’on veut lui faire dire tant qu’il continue à avoir la belle vie, celle que sa jolie petite gueule lui a donnée, de façon inespérée, Davy Sardou incarne avec un certain courage, et un talent non moins certain, un personnage veule et complexe. A lui revient la presque conclusion de la pièce : finalement, tout cela ne fut sans doute qu’un fantasme jamais réalisé. Du théâtre, en quelque sorte : on rêve en mots, on ne fait pas les gestes. Mais la dernière scène est pour Stella et James : quelle est la vérité ? On n’en saura rien.

Dans le rôle de la femme par qui le scandale arrive, Sara Martins a sans doute la partition la plus difficile. C’est le rôle le plus effacé. En outre, la mise en scène la cantonne, le plus souvent, à un jeu minimal : se lover sur un sofa et caresser langoureusement un (faux) minou (en peluche), dans de jolies tenues Courrèges/Emma Peel. Odalisque aboulique qui, à la fin, chante sa peine de cet amour qui s’arrête, sans avoir jamais vraiment commencé. C’est bien le seul moment où elle peut défendre un peu son personnage.

Thierry Harcourt, à Londres, a vu Pinter jouer sa pièce. Nul doute que cette Collection-là, dans la traduction historique d’Eric Kahane, est un produit de prix, à ranger précieusement sur l’étagère des pièces marquantes, ces rares pièces qui voient un trio d’acteurs épouser parfaitement leurs personnages, guidés par un dramaturgie lumineuse.

La Collection d’Harold Pinter
Mise en scène  Thierry Harcourt
Avec  Sara Martins, Davy Sardou, Nicolas Vaude et Thierry Godard
durée  1 h 15

A partir du 2 février, du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 17 h

Théâtre de Paris
Salle Réjane
15, rue Blanche
75009 Paris
Métro Trinité
Réservations  01 42 80 01 88
http://theatredeparis.com

 

Be Sociable, Share!

comment closed