ƒƒ article de Suzanne Teïbi

L’atmosphère est tendue. Sombre. Sur le plateau, quatre jeunes hommes se toisent, se dévisagent, se cherchent en silence. Dans un apparent statu quo – mais pour combien de temps ? On se dit que ça va craqueler, cette tension. Que l’un d’eux va craquer. Le silence s’étire. On se dit que derrière le noir, le rouge va prendre toute la place. Et le rouge prend la place – par touches.

Retour dans un internat de garçons. Les quatre hommes, ce sont Reiting, Beineberg, Törless et Basini. On les devine quelques années plus tôt, adolescents. C’est le Basini d’aujourd’hui qui contraint les autres à convoquer le passé, le temps de l’internat, le temps de l’adolescence. Dans un espace mental multiple – celui de chaque protagoniste, tour à tour, Basini embarque les trois autres, les met au pied de leur malaise. Car ce qu’ils rejouent n’est pas glorieux. Perversions, manipulations, jeux de pouvoir. Et derrière, ce désir qui les tiraille tous, chacun à sa manière. Un désir homosexuel et complexe dont ils ont honte, dont il ne faut pas parler, qu’il ne faut pas s’avouer, du moins pas ouvertement. Alors certains vont l’assouvir sous couvert de justice ou de vengeance.

C’est Reiting qui commence. Il a démasqué Basini. Le vol du casier, c’est lui. Il faut le faire chanter. Les voleurs, on doit les faire chanter. User de chantage, profiter de la situation. L’engrenage ne fait que commencer. Dans la chambre rouge, aménagée au grenier, dans une pièce exigüe et secrète, Reiting fait vivre à Basini des moments qu’il ne peut oublier. Le corps devient objet de fantasmes et de chantage. Les relations entre les quatre adolescents se complexifient de plus en plus. Chacun est seul, chacun ne doit compter que sur lui-même, car tous manipulent et sont manipulés. Les alliances se mettent en place. Surtout ne faire confiance à personne. A tout moment, la situation se retournerait contre soi. Les complots se succèdent dans une cartographie des vengeances mouvante et sans filet. Si Reiting et Beineberg sont ceux qui cachent le moins leur jeu, Törless montre des remords, aimerait revenir en arrière, semble pris dans la toile d’araignée tissée par les deux autres. Il n’empêche, remords ou pas, il reste et collabore. Des mois durant, il participe de ce mouvement pervers. Quant à Basini, derrière les apparences, ce n’est pas une simple victime. Sa place est plus opaque, plus ambiguë. Il y a la question du désir qui semble poindre aussi, celui d’être un objet sexuel : jusqu’où ce désir l’habite-t-il ?

Les quatre hommes vont rejouer ces multiples configurations, dans une tension qui ne doit jamais se perdre. C’est un jeu tendu, sur le fil, qu’il faut maintenir plus d’une heure trente durant, le tic tac de l’horloge scandant le temps, entêtant. La lumière les cadrant, les resserrant, les encerclant.

Si les multiples retournements diluent par moment la tension, les comédiens, très justes, parviennent à ramener sans cesse cet état d’urgence, de violence inouïe et de danger.

La chambre rouge
D’après le roman Les désarrois de l’élève Törless de Robert Musil
Adaptation et mise en scène Marion Chobert
Assistante à la mise en scène Lucie Beaune
Collaboration artistique Christian Duchange
Scénographie et lumière Alice Duchange et Romain de Lagarde
Construction Laurent Philippe
Création sonore Vendôme Uhl
Costumes Alice Duchange
Régie lumière Sébastien Marc
Avec Benoît Antonin Denis, Jean-René Oudot, Mathias Robinet-Sapin, Mathias Zakhar
Du 3 au 6 février 2015 à 21h
La Loge
77, rue de Charonne – 75011 Paris
Métro Charonne, Faidherbe-Chaligny, Ledru Rollin
Réservations 01 40 09 70 40
www.lalogeparis.fr
En tournée
Les 16 et 17 mars au Théâtre G.-Bernard / Châtillon sur Seine
Le 19 mars à L’Abreuvoir / Salives
Le 21 avril à L’Atheneum / Dijon
Le 23 avril à L’ARC scène nationale / Le Creusot

Be Sociable, Share!

•