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La Cerisaie, d’Anton Tchekhov, mise en scène de Daniel Jeanneteau et Mammar Benramou, au T2G

Nov 14, 2022 | Commentaires fermés sur La Cerisaie, d’Anton Tchekhov, mise en scène de Daniel Jeanneteau et Mammar Benramou, au T2G

 

© Jean-Louis Fernandez

 

 ff article de Denis Sanglard

La Cerisaie, dernière pièce d’Anton Tchekhov c’est la prémonition d’un monde prêt de disparaitre. Le rachat de la propriété par Lopakhine, fils de moujik, acte le bouleversement d’une société inconsciente de sa mutation, de la déliquescence d’une aristocratie et la montée irrésistible d’une nouvelle classe de dominant et d’idéaux qui annoncent la révolution. C’est une pièce où il semble ne rien se passer, où les échanges semblent parfois anodins, mais ou sourd une inquiétude que cristallise la vente du domaine. C’est une comédie, Anton Tchekhov l’affirmait, mais traversée d’une tragédie latente. Daniel Jeanneteau et Mammar Benramou mettent en scène La Cerisaie, crée au SPAC-Shizuoka Performing Art Center (Japon), avec élégance dans une scénographie épurée. Plateau vide, deux chaises et la structure d’une armoire, rien qui ne fasse obstacle au texte, et un ciel nuageux, lequel ici a son importance. Au long de cette comédie les nuages s’amoncellent, le ciel vire à l’orage, devient noir et lourd de menace, avant de s’effacer pour un écran blanc. C’est là, résumé avec économie, toute la tension dramatique de la pièce. Alors que sur le plateau, règne le plus grand calme où rien ne semble pouvoir troubler le drame qui s’annonce, le désamorçant même. Le temps est comme étirée, suspendu. Un monde flottant. Nul éclat, nulle violence ne brusque la partition jouée en deux langues, français et japonais, qui se répondent sans heurt. L’orient et l’occident sont ainsi noués dans un geste singulier qui souligne par cette proposition originale l’universalité des sentiments traversés par les personnages. Il y a dans cette impassibilité apparente de chacun, voulue par les metteurs en scène, comme la résignation apaisée devant une fin inéluctable qu’on ne voudrait démentir, une mélancolie pour ce qui fut et ne saurait plus être, mais étrangement pour ce qui adviendra, la capacité de prendre son destin en main dans l’ignorance assumée ou la prémonition de ce qui sera. Une lucidité douloureuse des évènements que l’on masque derrière de faux-semblants, une placidité trompeuse. C’est ce qu’on en commun Lioubov (Haruyo Hayama) et Lopakhine (Philippe Smith), à l’opposé pourtant l’un de l’autre mais conscients et dans l’acceptation d’une mutation irréversible d’une société à son crépuscule et dont ils rebattent à leur façon et pour eux même les cartes. Et c’est cette inquiétude d’une humanité qui chancelle et doute, en souffrance, que Daniel Jeanneteau et Mammar Benramou mettent en exergue, comme un reflet de notre époque en déroute. Cette inquiétude qui traversait déjà l’œuvre d’Anton Tchekhov. Haruyo Hayama donne à son personnage beaucoup de délicatesse, une grande fragilité mais également une assurance jusque dans ses contradictions. Elle n’est pas dans l’inconséquence, comme trop souvent représentée, mais dans une générosité qui l’ancre obstinément dans le présent. La vente de la cerisaie semble ici plus un soulagement qu’une perte, ouverte sur un nouvel avenir aussi intranquille soit-il. Seulement, le reste de la distribution japonaise oppose un jeu forcé, parfois outré, voire franchement daté. L’impression de voir parfois cette comédie devenir une farce, un kyogen. Et cela détonne fort avec le jeu de la distribution française, plus en retrait, semblant chercher encore ses marques en cette première. Ce frottement entre ces deux jeux antinomiques grippe un peu la représentation dans cette volonté d’uniformité entre les personnages que pourtant la langue même réunie dans la volonté d’universalité. N’en demeure pas moins une Cerisaie d’une belle facture où comme l’exprime le vieux Firs, oublié dans cette demeure, « la vie a passé ».

 

© Jean-Louis Fernandez

 

La Cerisaie texte d’Anton Tchekhov

Traductions : André Markowickz et Françoise Morvan (pour le texte français), Noriko Adashi (pour le texte japonais)

Conception et mise en scène : Daniel Jeanneteau, Mammar Benramou

Scènographie : Daniel Jeanneteau

Lumières : Juliette Besançon

Son : Isabelle Surel

Vidéo : Mammar Benramou

Composition musicale : Hiroko Tanakawa

Costumes : Yumiko Komai

Avec Kazunori Abe, Solène Arbel, Stéphanie Béghain, Yuya Daidomumon, Aurélien Estager, Haruyo Hayama, Yukio Kato, Katsuhiko Konagaya, Nathalie Koustnetzoff, Yoneji Ouchi, Philippe Smith, Sayaka Watanabe, Miyuki Yamamoto

 

Du 10 au 28 novembre 2022 à 20h

Le samedi à 18h, le dimanche à 16h

Relâche les mardi et mercredi

 

T2G

Théâtre de Gennevilliers centre dramatique national

41 avenue des Grésillons

92230 Gennevilliers

 

Réservations 01 41 32 26 10

www.theatredegennevilliers.fr

 

 

 

 

 

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