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La Cenerentola, opéra de Gioachino Rossini, direction de Thomas Hengelbrock, mise en scène de Damiano Michieletto

Oct 11, 2023 | Commentaires fermés sur La Cenerentola, opéra de Gioachino Rossini, direction de Thomas Hengelbrock, mise en scène de Damiano Michieletto

© Vincent Ponte

 ff article de Denis Sanglard

Oubliez citrouilles, souriceaux, mésanges et pantoufles de verre (ou de vair, au choix), oubliez la fée marraine. La Cenerentola de Rossini n’est pas un conte de fée au sens ordinaire puisque point de magie ici. Enfin, quand même un peu au vu du destin de Cendrillon qui de souillon dans l’âtre épouse le prince charmant au grand dam de ces deux méchantes demi-sœurs et de son beau-père, puisqu’ici nulle marâtre mais un veuf acariâtre. La mise en scène de Damiano Michieletto ne bouleversera pas les codes du genre. Somme toute classique malgré sa temporalité contemporaine. On passe d’une cafétéria immaculée (et pour cause !) où Cendrillon, bonne à tout faire, nettoie, balaye, range, dessert les tables et sert ses deux demi-sœurs teigneuse comme pas deux, se fait battre comme plâtre par son beau-père, au salon très design d’un palais ou d’une villa chic. Le prince n’a pas de carrosse mais une voiture qui, au passage, entre avec fracas et se crashe sur le plateau. Entrée spectaculaire et peu protocolaire mais effet garanti ! Tout ça est fluide, vif, pimpant et coloré, va « allegro con brio » jusqu’à son terme et se laisse regarder non sans déplaisir. Damiano Michieletto synchronise parfois l’orchestre avec l’action sur plateau comme Tati illustrait de façon sonore ses films ajoutant une touche d’humour cocasse. La seule originalité est d’offrir à ce conte (si peu) réaliste qui du noir passe au rose, une part de merveilleux inattendue. Alidoro, le précepteur du prince, est ici un ange gardien. Moitié Clarence Odbody du film de Capra La vie est belle, le coté miteux en moins, moitié Cupidon aux flèches acérées distribuées à tout va, descendu littéralement du ciel il veille avec bienveillance sur le destin de Cendrillon et du prince Ramiro, tire les ficelles des intrigues de cet opéra semi-bouffe. Le dernier tableau est fort drôle, avouons-le, où l’expression laver son linge sale en famille, enfin presque car il n’est pas question ici de linge mais de serpillères, prend un tour grinçant. Si « ma vengeance est le pardon » chante Cendrillon, bel euphémisme et étrange façon de faire que d’obliger ses sœurs son beau-père et même le chœur à récurer à leur tour le sol. Un chœur qui ne pantoufle pas dans cette production mais est attentivement dirigé qui les voit visiblement s’amuser à jouer, travesti le temps du premier acte, les groupies du prince.

Les opéras de Rossini dans leur ensemble sont un feu d’artifice musical où les coloratures le plus souvent vertigineuses demandent aux chanteurs une solide technique du bel canto. Mais sans doute plus encore, une véritable générosité dans l’expression des sentiments. Pas de demi-mesure donc, des émotions les plus ténus aux éclats les plus furieux. Sur le plateau et sous la baguette attentive de Thomas Engelbrock, ce fut une éclatante pyrotechnie.

Et c’est un bonheur de retrouver la mezzo-soprano Marina Viotti dans le rôle-titre. Son Angelina (Cendrillon) est toute de contrastes, tant sur le plan vocal que de l’expression. La voix est généreuse, les effets virtuoses sans en remontrer pour autant. Elle se joue de la partition avec une apparente facilité, cascade les coloratures, en fait un nuancier expressif et torrentueux qui dessine une Cendrillon aussi bien romantique (avant l’heure) et amoureuse que franchement combative. Surtout, elle a cette présence qui sans chercher à s’imposer lui est toute naturelle et emporte la salle avec elle. On retrouve dans ce caractère bien trempée un peu de sa Périchole qui sur ce même plateau voyait une femme s’imposer et prendre son destin en main. Le ténor Levy Sekgapane, Don Ramiro a le même allant que celle qu’il veut épouser. La voix est large, claire et sonore et filant vers des aigus incandescents. Edward Nelson, faux prince et vrai valet, est un Dandini espiègle, mutin. Ce baryton possède une voix certes large et puissante, profonde mais qu’il maîtrise en orfèvre pour une richesse expressive de la plus belle eau. Peter Kálmán, Don Magnifico, ironie d’un nom antinomique, baryton-basse dont la longueur de souffle épate, l’ampleur de sa tessiture de même, campe une beau-père dont la fatuité n’a d’égale que sa veulerie, drôle mais toujours sur une crète qui évite la caricature. La soprano Alice Rossi (Clorinda) et la mezzo-soprano Justyna Olów, (Tisbé) sont deux parfaites chipies – pour ne pas dire plus -, faisant la paire tant vocalement, les voix s’accordant dans une belle complémentarité et complicité, que dans leur vanité idiote. La basse Alexandros Stavrakakis, Alidoro, voix chaude et ample, est un ange sans aile, un peu magicien, et d’une belle présence que la mise en scène met aussi en valeur. Comme elle le fait de chacun tour à tour.

Dans la fosse Thomas Hengelbrock est à son affaire. Direction au cordeau de l’orchestre Balthasar Neumann, en parfaite harmonie avec le plateau vocal, cela pétille, crépite, explose. Rossini exulte. Un beau rendu du climax, de ce grand-huit vertigineux perpétuel entre tension et détente qui caractérise la musique de Rossini où tout enfle soudain sans crier gare avant de s’apaiser. Et si enthousiaste quand aux interprètes qu’on le voit mêler aux applaudissements du publics les siens. Il est vrai que la salle a fait un triomphe à cette production vocalement impeccable avec en son centre une Cendrillon lumineuse, Marina Viotti.

 

© Vincent Pontet

 

La Cenerentola, opéra de Gioachino Rossini

Direction : Thomas Hengelbrock

Mise en scène : Damiano Michieletto

Reprise de la mise en scène : Elisabetta Acella

Scénographie : Paolo Fantin

Costumes : Agostino Cavalca

Lumières : Alessandro Carletti

Vidéo : Roland Horvath / Rocafilm

Chorégraphie : Chiara Vecchi

Avec : Marina Viotti, Levy Sekgapane, Edward Nelson, Peter Kálmán, Alice Rossi, Justyna Olów, Alexandros Stavrakakis

Orchestre Balthasar Neumann

Chœur Balthasar Neumann

Figurants : Valérie d’Antochine, Pauline Colon

 

Du 9 au 19 octobre

 

Théâtre des Champs-Elysées

15 avenue Montaigne

75008 Paris

 

Réservations : www.theatredeschampselysees.fr

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