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La Bohème, opéra de Giacomo Puccini, direction de Lorenzo Passerini, mise en scène d’Éric Ruf, au Théâtre des Champs-Elysées

Juin 18, 2023 | Commentaires fermés sur La Bohème, opéra de Giacomo Puccini, direction de Lorenzo Passerini, mise en scène d’Éric Ruf, au Théâtre des Champs-Elysées

 

© Vincent Pontet

fff Article de Denis Sanglard

 Magnifique ! Cette bohème là est d’une beauté et d’une gravité, d’un humour désespéré aussi, à couper le souffle, d’une théâtralité sciemment affirmée, où livret et musique se répondent par la grâce d’une mise en scène respectueuse des deux, la modernité pouvant être aussi dans un certain classicisme, et d’une direction musicale au cordeau. Cette dernière peut surprendre d’emblée par sa rudesse rapeuse, l’impulsion donnée, une étrange impression parfois de rapidité inédite, mais qui n’est que la juste expression de cet opéra en quatre tableaux de Puccini procédant par ellipses. Une direction musicale qui suit scrupuleusement une partition bien plus contemporaine qu’il n’y parait, pas plus romantique que vériste, mais dans une recherche de vérité brutale, d’être au plus près de la complexité des sentiments et surtout d’une atmosphère, comme un peintre s’attacherait davantage au rendu qu’au sujet lui-même. C’est bien à cela que s’attache le chef Lorenzo Passerini, quitte à déstabiliser le public ou certains critiques.

C’est à cela aussi que s’est attaché le metteur en scène et scénographe Éric Ruf. Extraire du livret sa théâtralité, certes, mais aussi ce par quoi il est tendu. La bohème, ce sont des crève-la-faim, perclus de froid, où l’on brûle ses manuscrits pour un peu de chaleur, où dîner d’un hareng est un festin de roi. Et vendre son corps un acte désespéré, voire banal, de survie. Rien de romantique, pas même l’amour, aussi pur soit-il, qui ne peut survivre à ce régime de misère et de trivialité  à moins de (se) jouer la comédie. Chaque tableau conçu par Éric Ruf dépeint cela où même la munificence est entachée du provisoire. Il fait froid dans cette mise en scène, il neige en abondance. « Je voudrais qu’éternellement durât l’hiver. » chante mimi qui ne survivra pas au printemps. Éric Ruf rend compte de la brutalité des faits, cette réalité miséreuse et ses contrastes de la monarchie de juillet, que même l’ironie des personnages devant leur situation intenable, l’enjouement feint, peine à cacher.

Tout n’est que faux-semblant, trompe-l’œil, comme les roses que brode Mimi. Pas pour rien qu’elle et Rodolfo se rencontrent non dans l’atelier de Marcello, comme à l’origine, mais dans le Théâtre des Champs-Elysées où ce dernier peint le rideau de scène, « sa mer rouge ». Rodolfo joue avec le jeu d’orgue, et rien de plus artificiel et théâtral que ce lever de lune, un simple projecteur, illusion d’un romantisme qui n’est qu’un trompe-l’oeil. Terrible contraste avec le troisième tableau où suinte le désespoir, où rode la mort, qui voit la séparation de nos amants sous une lune et une aube glaciale, aux portes de Paris. Et ce n’est pas en contraste la scène de ménage, pure et réjouissante comédie, entre Musetta et Marcello, s’envoyant des casseroles à la figure, qui réchauffe l’atmosphère. Comme la partition elle-même, la mise en scène se dépouille lentement pour atteindre une épure où l’impétuosité et l’abondance (le deuxième tableau, le café Momus, en est exemplaire) cède la place à une intériorité (toute relative) qui signe la tragédie. La mort de Mimi, dans ce même théâtre, devant ce rideau rouge, qui vit naître leur amour est ainsi d’une cruelle ironie. On ne joue plus, la mort s’engouffre et avec elle la réalité, son cortège de misère nue.

Et cette production bénéficie de remarquables atouts par son plateau vocal d’exception. Peno Patti et Selene Zanetti, Rodolfo et Mimi, sont tous deux déchirants, formant un couple exceptionnel. A quoi tient la magie d’une voix ? Celle de Peno Patti est rondeur, sensualité, d’une grande puissance et d’une expressivité sans pareil. Avec ça, un charisme qui sur la scène embrase littéralement la salle qui, à peine avait-il chanté son premier grand air, applaudissait à tout rompre. Mais cela ne serait rien si le ténor n’avait aussi une science du jeu, un art de la retenu bienvenu jusque dans le chant, évitant tout effet inutile pour offrir à son personnage une poésie et une douceur, une pudeur, inhabituelle. Selene Zenatti de même qui donne de son personnage une autorité peu coutumière pour Mimi, une calme assurance mêlée de fragilité mais aussi, comme Peno Patti une grande sensualité. C’est par ailleurs elle et non Rodolphe, heureuse idée d’Éric Ruf, qui se saisit la première de la main de celui qui deviendra son amant. Geste en apparence anodin mais qui trahit le caractère de Mimi. La voix aux aigus enveloppant, charnelle aussi, au timbre clair évolue avec son personnage jusqu’à se détimbrer à l’instant du dernier souffle, comme vidée de substance. Par contraste le couple infernal que forme Musetta et Marcello est ébouriffant, haut en couleur. Amina Edris, voix puissante et large avec de beaux aigus est volcanique, affichant un sacré tempérament face à son amant mais sait aussi être bouleversante dans le dernier tableau devant la mort de Mimi. Alexandre Duhamel, Marcello, belle voix de baryton dont il se sert pour une composition dramatique intelligente au diapason de celle d’Amina Edris. Francesco Salvadori (Schaunard), Marc Labonnette (Alindoro/Benoît) et Guilhem Worms (Colline), complétant le quintette amical désargenté, imposent leur personnage avec bonheur, de leur voix assurée, d’un jeu subtil et de leur présence indéniable. Guilhem Worms dans son dernier air « Vecchia Zimarra », décidé à vendre son manteau pour sauver Mimi, apporte tout soudain à son personnage une sensibilité, une émotion à vif. C’est donc une grande production qui ce soir de première eu l’adhésion pleine du public, enthousiaste. Sans doute parce que l’énergie de Lorenzo Passerini à défendre cette œuvre au risque de bousculer dans le respect l’orchestration, apporte à celle-ci, souligné par la mise en scène tout en nuance d’Éric Ruf qui accusant la théâtralité et en extrait paradoxalement la profondeur derrière l’artifice et le mensonge, un sentiment ineffable et bouillonnant de vie jusque dans le drame.

 

© Vincent Pontet

La bohème opera de Giacomo Puccini

Livret de G.Giacosa et L. Illica

D’après Scènes de la vie de bohème de Henri Murger

Direction : Lorenzo Passerini

Mise en scène et scénographie : Éric Ruf

Chorégraphie : Glysleïn Lefever

Costumes : Christian Lacroix

Lumière : Bertrand Couderc

Avec : Selene Zanetti, Pene Pati, Alexandre Duhamel, Francesco Salvadori, Guilhem Worms, Amina Edris, Marc Labonnette, Rodolphe Brillant, Théo Kneppert*, Arthur Cady*, Simon Bieche*

*membres du chœur

Orchestre national de France

Chœur Unikanti-Maîtise des hauts de Seine, direction Gaël Darchen

Figurants : Jérémy Berthoud, Pauline Chabrol, Thomas Keller, Pierre Ostoya-Magnin, Noémie Pasteger, Jacques Tresse

 

Du 15 au 24 juin 2023

Le 15, 17, 19, 22 et 24 juin

à 19h30

durée 2h30, entracte comprise

 

Théâtre des Champs-Elysées

15 avenue Montaigne

75008 Paris

Reservations : www.billeterie.theatredeschanpselysees.fr

 

La Bohème fait l’objet d’une captation réalisée par François Roussillon, coproduite par le Théâtre des Champs-Élysées et FRAprod, avec la participation de France télévisions et de Radio France, et le soutien du CNC.

L’opéra sera également diffusé la chaîne YouTube du Théâtre (TCE Live), et le 2 septembre sur France Musique (Samedi à l’opéra par Judith Chaine).

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