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La Bohème, de Giacomo Puccini, mise en scène de Claus Guth, direction de Domingo Hindoyan, Opéra national de Paris (Bastille)

Sep 14, 2025 | Commentaires fermés sur La Bohème, de Giacomo Puccini, mise en scène de Claus Guth, direction de Domingo Hindoyan, Opéra national de Paris (Bastille)

 

© Monika Rittershaus/OnP

 

ƒƒ article d’Emmanuelle Saulnier

Alors que la mise en scène par Claus Guth de La Bohème a attiré lors de ses précédentes productions, en particulier à sa création en 2017, au mieux des quolibets, au pire des huées, l’accueil fut très bienveillant pour cette énième reprise à l’Opéra Bastille. Tout a été dit depuis sa création il y a huit ans sur ce parti pris lunaire aux sens propre et figuré. Si l’on a du mal à notre tour et à la suite de nombreux autres commentateurs et spectateurs à adhérer à cette scénographie surchargée (en dépit de la beauté intrinsèque des décors d’Etienne Pluss) et à la mise en scène saturée par un trop plein d’artistes sur le plateau finissant par perturber l’écoute en dépit de l’excellence des jongleurs, acrobates, comédien (l’élégant Virgile Chorlet) et autres mimes au détriment d’une plus grande présence des Chœurs, l’on doit toutefois reconnaître que la dramaturgie, d’Yvonne Gebauer, qui l’a provoquée a beaucoup de sens et d’intelligence. Elle renouvelle en effet le regard sur cet opéra ou plutôt son livret et de son inspiration littéraire et pousse à son acmé les différents sens de l’œuvre, dans une perspective très psychanalytique. Mêler les rêves (ainsi que les cauchemars) à la réalité et entre chasser les temporalités permet vraiment de poser un regard neuf sur La Bohème par rapport aux options plus classiques ou naturalistes que l’on a l’habitude d’entendre et voir ces dernières décennies, voire depuis la création de cet opéra, le plus joué au monde, à Turin, en 1896.

L’ambiance de ce vaisseau spatial en perdition sur un plan incliné, à l’esthétique clinique diamétralement opposée donc à l’imaginaire ordinaire des lieux d’une vie de bohème, n’interdit pas ou n’empêche pas le développement de toute ferveur et émotion grâce à l’orchestre d’abord et à son chef Domingo Hindoyan, qui insuffle généreusement la rondeur et le lyrisme qui ne relèvent visuellement pas de l’évidence, et grâce au plateau vocal ensuite.

Si Christophe Castronovo ne nous a personnellement pas pleinement convaincue (déception pas forcément partagée par le public, qui ne l’a pas non plus démesurément ovationné) tant vocalement dans le premier Acte, semblant presque recouvert par l’orchestre sur certaines phrases, qu’émotionnellement par la suite, notamment dès les premiers dialogues de Rodolfo avec Mimi, on doit convenir que le procédé consistant à le mettre face à une caméra défaillante plutôt qu’aux côtés de son enchanteresse voisine ne sont pas des conditions idéales pour susciter des frémissements pourtant habituellement si doux dans le « Che gelida manina » (puis dans le « Chi son »). Du côté des autres rôles masculins, Etienne Dupuis impose sa voix de baryton avec une aisance enjouée et une jolie présence scénique dans le rôle de Marcello, tout comme la basse Alexandros Stavrakakis dans ceux de Benoit et Colline, à la fois extrêmement puissant et avec de belles nuances. Le baryton Xiaomeng Zhang, dans le rôle de Schaunard, donne lui aussi toute satisfaction et complète avantageusement ce quatuor de compagnons de fortune. Le reste de la distribution masculine est complété par le parfait Franck Leguérinel (chantant le conseiller d’Etat Alcindoro) et par d’irréprochables membres du Chœur (Olivier Ayault, Ook Chung, Andres Prunell-Vulcano, Hyun-Jong Roh) pour des rôles secondaires de solistes.

Mais la raison essentielle justifiant encore le déplacement à l’Opéra Bastille pour (re)voir cette production de La Bohème, est de saisir la chance d’écouter ou réécouter (elle avait pris le rôle en 2017) Nicole Car, qui incarne une Mimi sublime de délicatesse et de justesse. Elle n’use d’aucun grand geste ou affectation pour personnifier la faiblesse physique de Mimi, tout en retenue et discrétion dans cette frêle silhouette, revêtue d’une robe certes rouge mais à la coupe sage, presque enfantine, avant de devenir blanche à la fin du quatrième et dernier Acte. Ses aigus sont brillants et limpides, ses graves veloutés, les pianissimi clairement audibles et gracieux. Dès ses premiers mots et a fortiori le célèbre « Me chiamamo Mimi », une onde de frissons parcourt le public, et sa présence irradie la scène en dépit des déplacements rares et lents qui lui sont imposés. On souhaite à sa collègue soprane Yaritza Véliz, qui lui succédera en octobre, le même pouvoir d’enchantement spectral.

Le seul autre rôle féminin, Musetta, est chanté par la pétillante soprane Andrea Carroll qui fait des débuts très convaincants à Paris, en dépit de la chorégraphie au goût douteux qui lui est demandée dans le décor momentanément kitsch d’une cabine dorée dotée d’une barre de pole dance, et un plateau saturé par les traversées de circassiens (encore une fois dont le talent technique n’est nullement en cause) dans ce qui est supposé être le cabaret du troisième Acte.

Au final, cette Bohème qui fait neiger sur la lune et sonder l’inconscient, pour mieux se retourner, avec une mélancolique bienveillance et tendresse, sur son passé de bohème et accepter la mort physique par l’enterrement symbolique de cette jeunesse perdue, est bien plus touchante et sensible que ce que son apparent contresens esthétique ne semble de prime abord suggérer. Il est parfois nécessaire de déplacer le regard en le faisant sortir de sa zone de confort, selon l’affreuse expression contemporaine désormais consacrée, pour mieux saisir les sens cachés d’un texte ou d’une œuvre, comme d’une période de sa vie. Puccini et ses librettistes n’assènent aucun jugement moral dans leur Bohème, ils offrent des clefs d’interprétation, comme Freud avec son interprétation des rêves, renouvelées par Claus Guth et Yvonne Gebauer. Au patient et au spectateur de procéder aux associations nécessaires pour sombrer dans une mémoire et des souvenirs idéalisés ou inventer une nouvelle vie de bohême sans renier le passé !

 

© Monika Rittershaus/OnP

 

 

La Bohème, de Giacomo Puccini

Livret : Giuseppe Giacosa et Luigi Illica

D’après Henry Mürger

Direction musicale : Domingo Hindoyan

Mise en scène : Claus Guth

Décors : Etienne Pluss

Costumes :  Eva Dessecker

Lumières : Fabrice Kebour

Vidéo : Arian Andiel

Chorégraphie :  Teresa Rotemberg

Dramaturgie : Yvonne Gebauer

Chef des chœurs : Alessandro Di Stefano

 

Avec : Olivier Ayault, Nicole Car, Andrea Carroll, Charles Castronovo, Ook Chung, Etienne Dupuis, Franck Leguérinel, Andres Prunell-Vulcano, Hyun-Jong Roh, Alexandros Stavrakakis, Xiaomeng Zhang 

Et : l’Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris, la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique ; le comédien Virgile Chorlet ; les circassiens et mimes

 

Durée : 2h30 (dont entracte)

Les 17, 19, 23, 27, 30 septembre et 2, 5, 8, 11, 14 octobre 2025

 

Opéra national de Paris 

Place de la Bastille

75012 Paris

www.operadeparis.fr

 

 

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