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La Bête dans la jungle, d’après la nouvelle de Henry James, suivi de La Maladie de la mort de Marguerite Duras, mise en scène de Célie Pauthe

Mar 02, 2015 | Commentaires fermés sur La Bête dans la jungle, d’après la nouvelle de Henry James, suivi de La Maladie de la mort de Marguerite Duras, mise en scène de Célie Pauthe

ƒƒ article de Denis Sanglard

 

© Elisabeth Carecchio

© Elisabeth Carecchio

 

« Ainsi vous avez pu vivre cet amour de la seule façon qui se puisse faire pour vous, en le perdant avant qu’il ne soit advenu.» Cette phrase clôt La Maladie de la mortde Marguerite Duras. Une phrase à mettre en exergue et qui résume de façon troublante La Bête dans la jungle de Henry James. Ces deux textes sont réunis par Célie Pauthe dont la mise en scène fluide, légère et grave tout à la fois, procède par imprégnation de l’une par l’autre. Disons que La Maladie de la mort ne pourrait être sans La Bête dans la jungle. Elle en est comme le succédané, un instant extrêmement concentré qui résumerait le personnage de John Marcher, celui qui attend la Bête, cet évènement qui devrait bouleverser sa vie. Tout comme l’intuition de la jeune fille répondrait en écho à la compréhension, la lucidité douloureuse de Catherine Bertram. C’est tirer sans doute la corde un peu beaucoup, certes, convenons-en, mais l’intuition de Céline Pauthe s’avère au final assez juste.

Il y a quelque chose de formidablement énigmatique dans ces deux textes que Célie Pauthe entretient sciemment, toujours délicatement au bord des choses, affleurant sans jamais vouloir démontrer, peser sur une interprétation textuelle quelconque. Elle laisse au contraire le silence s’installer, les corps se tenir toujours à distance, se rapprocher sans jamais s’effleurer. Demeurer dans l’attente, l’inassouvissement. Le vaste espace vide du plateau ne semble pouvoir être comblé de ces corps encombrés d’une attente consentie. Il y a comme un creux, vaste, toujours, entre les personnages. Un creux où la bête attendue semble être tapie. Catherine comble alors cet espace qu’elle occupe bientôt, qu’elle meuble. Mais quand disparaît Catherine, une simple porte qui se ferme, c’est bouleversant de simplicité, cet espace de nouveau devenu progressivement vide vous saute à la figure. Dans cet espace redevenu vaste et soudain vague ce que comprend alors John c’est que la bête était là sous ses yeux et vient de disparaître derrière cette porte ou meurt Catherine. Et que ce vide restera irrémédiablement, désespérément vide. Ce vide qui est aussi le refoulement des sentiments inavoués, la peur d’aimer, le glacis des apparences. La transition entre les deux textes est alors un moment singulier et stupéfiant qui voit cet espace soudain occupé d’un lit. C’est tout le hors-champ du premier texte qui déboule ainsi, comme devant combler avec urgence les non-dits, le vide du premier récit et qui voit John perdu, fixe, dans la compréhension soudaine et brutale de la perte, devenir le narrateur d’une autre histoire. La sienne, un fantasme, on ne sait. Et Catherine de réapparaître, narratrice fantôme du même récit. Un dialogue étrange s’instaure dont l’objet est cette jeune fille nue dans ce lit et qui porte l’attente, les interrogations de John et lui répond avec impudence.

Célie Pauthe ne coupe pas les deux récits mais les enchaîne avec logique et efficacité. Pas le temps de voir les coutures. Ou plutôt si. Parce que si les deux récits semblent liés par la même thématique, leur accolement ne peut être qu’artificiel. Alors qu’importe. Les deux portent la marque d’un mystère qu’on ne résoudra pas. D’ailleurs Célie Pauthe regarde ailleurs. Ce sont les personnages qui l’intéressent et qu’elle peaufine avec grand soin. Formidable et toujours incandescente Valérie Dréville qui fouaille son personnage avec ses pleins et ses déliés, qui semble porter elle aussi une étrangeté, un mystère bien plus opaque que celui de John. A ce personnage tragique dans le sacrifice qu’elle consent, rester dans cet entre-deux d’une attente dont elle pressent l’issue impossible, Valérie Dréville offre une densité rare, déjà dans la préfiguration de son destin, de son sacrifice sans que jamais cela ne semble peser. La réussite de cette création tient sans nul doute à cette présence singulière qui semble concentrer en elle toute l’énigme et les enjeux de ces deux récits, à savoir les mystères du désir et de l’amour.

 

La Bête dans la jungle,
D’après la nouvelle de Henry James, adaptation française de Marguerite Duras d’après l’adaptation théâtrale de James Lord
Suivi de La Maladie de la mort de Marguerite Duras
Mise en scène Célie Pauthe
Collaboration artistique Denis Loubaton
Assistanat à la mise en scène Marie Fortuit
Scénographie et costumes Marie La Rocca
Assistée de Jean-Baptiste Bellon
Lumières Sébastien Michaud
Son Aline Loustalot
Vidéo François Weber
Coiffures et maquillages Isabelle Lemeilleur
Avec John Arnold, Valérie Dréville, Mélodie Richard

Du 26 février au 22 mars 2015
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30

La Colline / Théâtre national
15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
M° Gambetta
Réservations 01 44 62 52 52
www.colline.fr

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