Critiques // « Kok Batay », de Sergio Grondin, à la Maison des Métallos

« Kok Batay », de Sergio Grondin, à la Maison des Métallos

Juin 05, 2015 | Commentaires fermés sur « Kok Batay », de Sergio Grondin, à la Maison des Métallos

ƒƒ article de Camille Scordia

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Kok Batay: voici le nom que l’on a donné à John Le Rouge, un boxeur de l’Ile de la Réunion, traité à sa naissance de « Fils de chien » à cause de sa rousseur, devenu champion grâce à la rage qu’il en a gardé, avant de sombrer dans l’alcoolisme. C’est de la tragique destinée d’un père que Sergio Grondin, conteur (raKonter en créole) vient puiser la matière de cette histoire, en brossant l’esquisse d’une généalogie familiale et celle, en filigrane, d’un pays où la violence règne sans partage.
La tragédie familiale prend ses racines dans les terres de La Réunion, où la violence des rapports sociaux, l’alcool et la pauvreté ont marqué de manière indélébile le destin de John Le rouge. Celui-ci bascule lorsqu’il croise le chemin d’une femme douce et passionnée par la littérature, avec qui il conçoit le narrateur et interprète Sergio Grondin. Celui-ci raconte, seul au centre d’une scène immergée d’eau, véritable surface de réflexion où sont projetées des images de combats, les scènes qui ont précédé sa naissance. Tantôt violentes, tantôt touchantes, les scènes que rejoue Sergio Grondin sont toutes dirigées vers l’évènement traumatique: la folie du père, rattrapé par la rage de ses racines, qui abandonne sa femme le jour où il apprend qu’elle est enceinte.
Du bout de ses lèvres, l’interprète trace les contours du paysage réunionnais, malgré l’absence totale de signes, décors ou objets y faisant référence sur scène. Sa capacité à faire fonctionner l’imaginaire du spectateur est très grande, s’appuyant sur différents ressorts connus du conteur: sa voix, pleine et forte, rythmée aux bons moments du récit, tantôt ferme, tantôt fragile, mais toujours portée par une sincérité qui parvient véritablement à émouvoir l’auditoire. Ensuite, la posture du comédien, toujours prêt au combat, montre qu’il y a, dans l’acte de raconter, un engagement physique fort. Il est question de lutte à poings nus: la colère engendrée par l’insulte qu’il reçoit, à sa naissance, est ainsi traduite dans tous les mouvements corporels du comédien.
Enfin, le genre du conte est renouvelé grâce au croisement habile de divers médiums artistiques: les projections vidéo d’une silhouette de boxeur, sur un rideau de gouttes d’eau, suggèrent la gestuelle du combat; la musique électronique de Kwalud accompagne avec justesse les changements de temps de la narration, offrant des moments de respiration essentiels à l’écoute; les extraits audio d’actualités radiophoniques amènent un point de vue extérieur, signent l’authenticité de l’histoire racontée.
Dans Kok Batay, Sergio Grondin fait le pari audacieux, au théâtre, de dire sans montrer : c’est en assumant pleinement son rôle de conteur des temps modernes qu’il surprend. Il semble à l’aise dans toutes les situations, se transformant, le temps d’une chanson, en rappeur blessé, en danseur créole ou sur une musique rythmée en bête de scène prête à fendre le ring, il ne tombe pour autant jamais dans le ridicule. Par la portée à la fois personnelle et universelle de cette histoire, qu’il fait revivre, son interprétation se révèle d’une grande justesse.
« Raconter hier avant qu’on oublie et demain pour que l’on continue à s’inventer » : Kok Batay prouve ici la puissance de cette maxime et ouvre, par son exploration musicale et graphique, de nouveaux horizons à l’art du conte.

Kok Batay
Écriture et interprétation de Sergio Grondin
Mise en scène David Gauchard
Création musicale Kwalud
Collaboration artistique Mael Le Goff
Lumières Benoit Brochard
Scénographie Fabien Teigné
Vidéo et graphisme David Moreau

Du mercredi 3 au dimanche 14 juin 2015
Du mercredi au vendredi à 20h, samedi à 20h30, dimanche à 16h

Maison des Métallos
94, rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris
01 47 00 25 20
www.maisondesmetallos.org

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