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Killology, de Gary Owen, mise en scène de Benjamin Guyot au Théâtre de la Reine Blanche

Oct 13, 2023 | Commentaires fermés sur Killology, de Gary Owen, mise en scène de Benjamin Guyot au Théâtre de la Reine Blanche

 

© Ilhan Blanco

ƒƒ Article de Sylvie Boursier

Un père dont le fils a été mis à mort par des jeunes adeptes d’un jeu vidéo ultraviolent dénommé killology s’introduit chez le concepteur du jeu pour se venger. Le texte de l’auteur gallois, inspiré d’un fait divers réel, explore les mécanismes de la violence. Qu’est ce qui peut briser l’aversion naturelle d’un être humain à supprimer la vie d’un tiers ? La psychologie sociale avec l’expérience de Milgran sur la soumission à l’autorité nous donne quelques réponses mais le contexte de la pièce est tout autre. Il s’agit plutôt d’absence totale d’autorité, de démission des pères et de virilité toxique thème récurrent chez Gary Owen. Les monologues des trois protagonistes s’emboitent comme dans un puzzle avec un sens des rebondissements, une langue hyperréaliste digne des meilleurs thrillers. Trois monologues-fleuves enchâssés ou domine l’effroi shakespearien avec cette écriture anglo saxonne de boxeur, cinglante, exempte de tout apitoiement. Le père, le fils et le businessman, une sainte trinité de paumés, cherchez la femme !

C’est la jungle et il faut s’en sortir, quel que soit son milieu d’appartenance. Deavey la victime est élevé seul par sa mère dans un ghetto déshérité et souffre dès son plus jeune âge de la violence des autres. Il n’a vu son père que de rares fois, une seule rencontre pourrait le faire sortir de là, éviter qu’il ne se transforme lui-même en bourreau par mimétisme et réflexe de survie. Allan, son géniteur, se découvre une vocation de père à la mort de son fils et n’est plus que vengeance, pas la moindre conscience morale.

Paul invente Killology « pour massacrer virtuellement son père » et coup de génie « dans la plupart des jeux quand tu tues quelqu’un il meurt, tu passes au suivant ». Dans celui-là, « pendant qu’on torture sa victime elle nous supplie, nous implore, saigne et on regarde la réalité de sa souffrance ». Bien vu et addictif puisque « si tu détournes les yeux, le détecteur le remarque et te retire des points ».

L’intelligence et l’aisance financière ne sont pas non plus des remparts face à la barbarie. L’homme d’affaires fait preuve d’un machiavélisme éhonté, son argumentation tranchante et sa rouerie ne laisse aucune chance à la vengeance d’un père démuni et violent. Contre toute attente les deux hommes découvriront mais trop tard le chemin de la conscience et une possible résilience.

La mise en scène au décor minimaliste prouve qu’il n’est pas indispensable d’en mettre plein la vue à coups d’effets spéciaux pour créer un spectacle puissant. L’adresse directe au public est privilégiée avec un remarquable travail sur les lumières qui structurent l’espace de chaque récit et accentuent l’effet montagnes russes des monologues en écho avec l’engrenage sadique. En fond de scène on devine des projecteurs comme des consoles de jeux ou des enceintes wifi, tout est aseptisé, crépusculaire. Benjamin Guyot fait confiance à sa direction d’acteurs et à la force du texte. Il a raison. Éric Antoine, Antoine Cordier et Thibault Rigoulet sont impeccables, nul besoin d’en rajouter sur une écriture pareille dont ils captent les nuances, les ruptures et les pichlines. Leurs gestes précis créent des images et nous glacent le sang.

Anna Harends soutenait que chacun d’entre nous pouvait devenir un monstre. De fait la couche d’humanité qui nous relie est mince et le prêt à penser à porter de mains. C’est tout à l’honneur du théâtre de nous montrer comment la perversion gagne du terrain dans nos sociétés connectées ou les pères ont bien du mal à assumer l’autorité ; Stanley Kubrick avait dénoncé en son temps l’esthétisation de la violence avec Orange Mécanique. Nous y sommes ! allez voir ce spectacle intelligent, dénué de tout voyeurisme.

© François Berlivet

Killology, texte de Gary Owen

Mise en scène de Benjamin Guyot

Scénographie et costumes : Estelle Gautier

Lumières : Anna Geneste

Musique : Ilhan Blanco

Durée : 1h 50

 

Le vendredi 13 octobre à 21h et le dimanche 15 octobre 2023  à 18 h 

Tournée et présence à Avignon en 2024 en cours d’organisation.

 

Réservation :

01 40 05 06 66

 

Théâtre de la Reine Blanche

2 bis, passage Ruelle

75018 Paris

www.reineblanche.com

 

 

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