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KATA, chorégraphie et interprétation d’Anna Chirescu, au Pavillon, Romainville, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

Juin 10, 2025 | Commentaires fermés sur KATA, chorégraphie et interprétation d’Anna Chirescu, au Pavillon, Romainville, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

 

© Julien Benhamou

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

La faible lumière est celle qui se refléterait infiniment entre le miroir du passé et le mur du présent. Comme chez Edward Hopper, elle irradie cet éclat métallique propre à découper les corps et les souvenirs avec le tranchant de la perte. Entre l’écran vertical et l’espace dessiné au sol, également blancs, pareils à un livret déplié, KATA s’ouvre et œuvre dans le contrejour d’une lointaine origine. Et dans cet éloignement, dans cette réverbération d’un autre temps à la surface du présent, la danse emprunte de nouveaux chemins, fait sienne les pas et les gestes d’un autre art, martial celui-là. KATA est un solo d’Anna Chirescu dont l’écriture singulière trouve sa source autobiographique dans l’histoire de son père, celle de sa traversée d’Est en Ouest lors d’une compétition sportive de karaté, fuyant la Roumanie communiste. Mais à la manière d’une feinte, Anna Chirescu ne brandira pas immédiatement le « je » de son histoire, mais le déportera en faisant d’un coing, tombant de son cognassier avant de rejoindre la cuisine des Chirescu, son premier récitant. On tombe ainsi nous-mêmes dans ce KATA comme Alice dans le pays des merveilles. Plus encore la pièce s’invente un pays des contraires qui, paradoxalement ou justement pour cela, ouvrent à de nouvelles perceptions, plus souterraines, élargies : l’humour et la naïveté croisent la gravité, la concentration du karaté se diffracte dans le décentrement et l’éparpillement du récit, le politique devient une affaire poétique… l’historique se lit à la lumière de l’archaïque et du folklorique.

Par les détours et les contours que trace la pièce, par le travail délicat des lumières et du son, par la création musicale de Grégory Joubert, trouble et fantasmatique, envoûtante, par l’acuité de la présence d’Anna Chirescu enfin, KATA structure chez le spectateur un complexe état de conscience et offre la griserie d’un rêve éveillé. Une étrangeté magnétique nous tire à elle comme une prise soudaine de karaté. Quelque chose d’éminemment précis et tout à la fois nébuleux, un tiraillement entre l’actualité d’une présence et le fantôme d’une absence : le recel d’une mémoire. Les katas effectués par Anna Chirescu sont des lignes brisées, nettes, elles développent leur mathématique dans un espace-temps hypnotique. Avec leur stylisation épurée au fil des siècles, la gestuelle investit avec une belle évidence le champ de la danse contemporaine. Assister à KATA, c’est réaliser dans une fulgurance que ce qu’un geste fait, il le fait à l’espace et au temps. Il les transperce et les retourne comme un gant. Le monde de KATA est un monde de dualités, profondément métaphorique, la chute est autant celle d’un fruit que celle d’un régime totalitaire, c’est un théâtre labyrinthique où rôde le double et l’envers, le minotaure de l’Histoire dont l’écho des mitraillettes depuis Bucarest macule les murs de KATA KATA KATA KATA KATA KATA KATA KATA KATA KATA KATA KATA…

Il est l’empreinte et le moule.

A l’instar d’un kata qui se déploie pour se refermer, bouclant sa furtive boucle spatio-temporelle et nous laissant la sensation d’un mirage, Anna Chirescu manie l’effet rétrospectif, et dans une ultime séquence, rassemble par les mots et par l’image ce qui avait été disséminé et dissimulé jusque-là. Anna Chirescu, lumineuse, dans les pas d’un père, dans l’affirmation d’une liberté.

 

© Julien Benhamou

 

KATA, chorégraphie et interprétation : Anna Chirescu

Collaboration artistique et dramaturgique : François Maurisse

Création musicale et musique électronique live : Grégory Joubert

Création lumière : Fanny Lacour

Création costume : Darius Dolatyari-Dolatdoust, assisté de Paul Escamez

Regard chorégraphique : Elodie Escarmelle

Regard vocal : Violaine Lochu

Stagiaire : Saya Bringuier

Archive vidéo : Nicolae Gothard Bialokur

Regards extérieurs : Toméo Vergès, Grégoire Schaller

 

Durée : 50 minutes

Les 2 et 3 juin 2025 à 19h30

  

Le Pavillon

28, avenue Paul-Vaillant-Couturier

93230 Romainville

Tél : 01 49 15 56 53

www.ville-romainville.fr

 

Dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

https://www.rencontreschore

 

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