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Kaddish, mémoires, de Margaux Eskenazi, d’après les œuvres de Imre Kertész, mise en scène de Margaux Eskenazi, Théâtre Nanterre-Amandiers

Juin 29, 2024 | Commentaires fermés sur Kaddish, mémoires, de Margaux Eskenazi, d’après les œuvres de Imre Kertész, mise en scène de Margaux Eskenazi, Théâtre Nanterre-Amandiers

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia  

Décidemment les spectacles de fin d’année des élèves d’écoles de théâtre surprennent, interrogent, entraînent. Tout comme après la représentation de la grande fresque de L’Esthétique de la résistance de Peter Weiss créée par le groupe 47 de l’Ecole du TNS, en 2023, dans la mise en scène de Sylvain Crezeuvault, on sort impressionné de Kaddish, mémoires écrit et mis en scène par Margaux Eskenazy pour la Belle Troupe des Amandiers de Nanterre. Avec ce nouveau spectacle remarquable, la jeune metteuse en scène, continue son travail sur la ou les mémoires en s’appuyant sur l’œuvre d’Imre Kertész.

L’auteur hongrois longtemps négligé, puis nobelisé, a nourri plusieurs années durant la talentueuse Margaux Eskenazy, que l’on a appréciée ces dernières années dans des créations diverses en particulier sa trilogie Ecrire en pays dominé (et tout spécifiquement Et le cœur fume encore), mais aussi l’inattendu Gilles ou qu’est-ce qu’un samouraï. Elle a utilisé plus précisément quatre ouvrages (Être sans destin, Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas, Le Refus et Dossier K) pour construire sa pièce à tiroirs où elle aborde la création en tant que telle de son nouveau spectacle, la vie d’Imre Kertész et les deux questions principales qu’elle tire de son œuvre : le rapport à la Shoa et à la judéité. En entremêlant comme elle sait si bien le faire, les vies intimes et leur quotidien aux grandes problématiques historiques, Margaux Eskenazy lie le passé au présent pour donner matière à penser et notamment revenir malheureusement mais vitalement sur les sempiternelles questions du racisme, de l’antisémitisme et du totalitarisme, en donnant une furieuse envie de se plonger ou replonger dans l’œuvre d’Imre Kertész, lecture qui s’avère des plus stimulantes et fascinantes.

 Le propos n’est jamais manichéen à l’image de son mentor dont le récit autobiographique Etre sans destin sert de fil rouge à la pièce qui court sur une vingtaine d’années, de la déportation du narrateur à l’après et la difficulté notamment de représenter les camps de la mort, l’auteur étant revenu vivant de Buchenwald. Cette partie de la pièce est d’une très grande finesse. Elle rend hommage à la pulsion de vie et à l’humour de Kertész tout en proposant une réflexion à la fois théorique et esthétique sur les limites de l’art et de la représentation. Comment faire figurer sur un plateau (comme dans un livre) un train de déportés ? Des références sont convoquées (Nuit et Brouillard, Shoah, Primo Levi et même Le petit train des Rita Mitsouko qui est au plus près de la problématique de la représentation et de la distanciation) par Margaux Eskenazy auxquelles on aurait bien ajouté le récit d’Etty Hillesum qui résonne aussi s’agissant de la vie concentrationnaire et de la joie polémique d’y être.

 Toute la distribution de Kaddish, mémoires est remarquable d’engagement, de fougue et de justesse, à commencer par Elise de Gaudemaris, le double de la metteuse en scène, chaque comédien endossant plusieurs rôles avec des changements de costumes à vue, comme pour les décors ; l’un d’entre eux (Lawrence Davis) dansant aussi (fort bien). Le guitariste Malik Soarès ajoute une couleur teintée de mélancolie avec ses mélodies yiddish, mais sans pathos.

Margaux Eskenazy parvient encore une fois à allier l’intime et le politique, la poésie et l’humour, les blessures du passé et la foi en l’avenir. Elle nous laisse dans l’attente du prochain opus de son nouveau cycle sur l’identité et le judaïsme, qui s’avère d’autant plus urgent dans le contexte politique actuel brûlant et rend nécessaire de nouveaux rappels ou appels à l’Histoire, tel celui de l’interview du Miklós Horthy, à l’origine des premières lois antisémites, de numerus clausus dès 1920. Il est impératif de rappeler les actions de responsables politiques comme ce président hongrois qui est sans doute par trop sorti des mémoires, pour mieux mesurer les enjeux terrifiants du présent.

 

 

Kaddish, mémoires de Margaux Eskénazy

Mise en scène :   Margaux Eskénazy

Direction musicale – composition et interprétation : Malik Soarès

Scénographie & Costumes : Sarah Barzic, Loïse Beauseigneur

Dramaturgie : Guillaume Clayssen

Conseiller historique : Nicolas Morzelle

Création lumière : Marine Flores

Assistanat à la mise en scène : Siloë Saint-Pierre

Stagiaire costumes : Lilas Daoussi

Avec Les comédien.ne.s de La Belle Troupe des Amandiers :
Rosa-Victoire Boutterin
Jules Chagachbanian
Lawrence Davis
Elise de Gaudemaris
Raphaëlle de la Bouillerie
Jeanne Fuchs
Axel Godard
Gabriel Gozlan-Hagendorf
Emmanuel Pic
Nawoile Saïd-Moulidi
Paul Thouret
Myrthe Vermeulen

 

Jusqu’au 22 juin 2024

Durée : 2h30

 

 Théâtre Nanterre-Amandiers

7 avenue Pablo Picasso

Nanterre (92)

www.nanterre-amandiers.com

 

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