© Hervé Bellamy
ƒƒ article de Denis Sanglard
Adaptation du Château, dernier roman inachevé de Franz Kafka, K où le paradoxe de l’arpenteur conte l’arrivée dans un village reculé d’un arpenteur, venu là par une promesse d’embauche. Seulement on ne peut, dans ce village hostile, séjourner sans autorisation, délivrée par l’administration. Et une promesse n’est pas une embauche… K, affirmant son droit et demandant réparation, se heurte aux fonctionnaires obtus, à l’absurdité d’une obscure bureaucratie, aux rapports qui semblent ne jamais aboutir, face à sa demande réitérée de rencontrer l’insaisissable et tout puissant Klamm. Mais Klamm, partout et nulle part à la fois, existe-il ? Pot de terre contre pot de fer, K défait, humilié, résigné rejoint la servilité des villageois soumis à l’autorité administrative du château.
Régis Hebette signe à la fois l’adaptation et la mise en scène de cette tragi-comédie. Un côté expressionniste, onirique même, dans la scénographie, lumières entre chien et loup, crépusculaire, neige en abondance, jeu d’ombres qui découpent, agrandissent les silhouettes, et surtout un décor mouvant, paravents noirs découpés et coulissants, manipulés à vue, labyrinthe menaçant se faisant, se défaisant, qui enferment bientôt K dans ce village et n’offrent bientôt plus d’issue. Une mise en scène fluide, mais où le temps semble comme aboli, étouffé par le rythme donné volontairement étal. Quelque chose semble stagner là qui participe de la condition de K, le seul pourtant dans ce cauchemar, à s’agiter avant de se fracasser devant la force d’inertie des villageois et des fonctionnaires. Régis Hebette efface ainsi tout repère de temps et d’espace, le village semblant être englouti dans le néant et les ténèbres, assujetti au Château. De même ne s’embarrasse-t-il de rien. Peu d’accessoires, réduits à l’essentiel et de brics et de brocs, juste pour signifier, c’est tout. Ce qui prévaut c’est le texte et la silhouette de chacun des personnages dessinée par les comédiens, dirigés au cordeau. A l’exception de Ghislain Decléty, L’arpenteur K, – parfait dans son obstination et son incompréhension d’un système qui le broie – ils donnent corps (au sens premier du terme) et relief, habiles aux changements, entre réalisme et burlesque, aux multiples personnages (39, quand même !) dont ils ont la charge. Se dégage une drôle d’atmosphère, étrange, voire étouffante que réhausse une création sonore anxiogène. Régis Hebette ne donne pas de clef, n’assigne pas un sens unique à cette œuvre qui se révèle d’elle-même par cette atmosphère dans laquelle il la plonge et qui infuse le plateau et la salle. Une œuvre prémonitoire pour son époque et qui prend aujourd’hui une étrange et sale acuité. Histoire d’une impossible résistance, d’une résignation devant des forces obscures dominantes, d’une soumission obligée au système et ses conséquences. Et si le refus de la soumission existe, incarné par le personnage d’Amalia, c’est au risque assumé d’en payer le prix, être au ban de la société, devenir paria. Ce qui est au cœur de l’œuvre de Kafka et de cette mise en scène.
© Hervé Bellamy
K ou le paradoxe de l’arpenteur, d’après Le château, de Franz Kafka
Adaptation et mise en scène de Régis Hebette
Avec Pascal Bernier, François Chary, Ghislain Decléty, Antoine Formica, Julie Lesgages, Cécile Saint-Paul, June Van Der Esh
Lumières : Eric Fassa, avec la collaboration de Saïd Lahmar
Scénographie : Régis Hebette, avec la collaboration d’Eric Fassa
Création sonore : Samuel Mazotti
Création costumes : Zoé Langlare et Cécilia Galli
Régie générale : Saïd Lahmar
Construction : Marion Abeille
Collaboration artistique : Félicité Chaton
Assistant à la mise en scène : Nathan Vaurie
Du jeudi 6 octobre au samedi 29 octobre 2022 à 20 h
Dimanche 16 h 30
Relâche mardi et mercredi
Théâtre de l’Echangeur
59 avenue du Général De Gaulle
93170 Bagnolet
Réservations 01 43 62 71 20
reservation@lechangeur.org
www.lechangeur.org
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