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« Juliette et Justine, le vice et la vertu » lecture de textes de Sade par Isabelle Huppert

Juil 15, 2015 | Commentaires fermés sur « Juliette et Justine, le vice et la vertu » lecture de textes de Sade par Isabelle Huppert

ƒƒƒ article de Florent Mirandole

 

 © Peter Lindbergh

© Peter Lindbergh

 

Malgré les rafales de vent qui balayaient la scène de la cour d’honneur, Isabelle Huppert a réussi à faire résonner pendant une grande heure les mots crus du Marquis de Sade. Dans une robe rouge vif, l’actrice a lu une sélection de textes du marquis de Sade, nouant un dialogue entre Justine et Juliette à partir des deux romans du sulfureux marquis, Justine ou les Malheurs de la vertu, et Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice. Le dialogue construit par le philosophe Raphaël Enthoven croise ainsi le destin de Justine, jeune oie blanche victime de multiples sévices sexuels, et de Juliette, qui elle plonge la tête la première dans le vice et la fornication.

Le récit de leurs aventures est entrecroisé de dialogues plus philosophiques, chacune apportant ses arguments pour justifier son comportement. Le personnage de Juliette affirme que « la nature se suffit à elle-même », et qu’il est ainsi naturel de suivre son instinct, quand bien même il serait pervers et amoral. Justine croit au contraire qu’un comportement moral est la voie vers le bonheur et le salut. Et si ce n’est pas ici-bas, ce sera au ciel. Raphaël Enthoven réussit à transmettre son intention première, à savoir donner deux points de vues opposés mais ne prenant jamais le pas l’un sur l’autre afin de laisser le public seul face à ces deux miroirs déformants. C’est toutefois le discours de Juliette qui résonne le plus juste à nos oreilles. Ancêtre d’Histoire d’O et de 50 nuances de gris, L’Histoire de Juliette esquisse un féminisme radical, où la femme ne participe pas à des orgies sexuelles par la seule volonté de révolte, mais par choix et plaisir.

A côté du dialogue philosophique, il reste que les descriptions hautes en couleur des textes sont l’occasion d’une succession de tableaux scabreux souvent horribles, parfois amusants, et chaque fois fascinants par leur invention érotique. Isabelle Huppert relève le défi de ce spectacle schizophrénique avec talent. A l’aise avec Marivaux comme avec Ibsen, l’actrice semble s’être particulièrement amusée à entrecroiser ces deux personnalités symétriques et contraires. L’écueil aurait été de se contenter d’exhiber les outrances littéraires du texte, tentation d’autant plus forte sur la scène d’un Palais habitée par la présence papale. Le ton juste de l’actrice évite cette complaisance. Elle donne ainsi une tonalité parfois badine à une lecture qui pourrait s’avérer profondément rébarbative. A l’inverse, elle parvient à donner un ton légèrement ironique à un texte que l’auteur semble avoir voulu transformer en arme de combat contre un siècle des lumières qui finissait de brûler ses plus fervents défenseurs. Le dialogue créé par le philosophe et l’actrice s’avère ainsi aussi passionnant que vivant, et à aucun moment ne semble manquer de souffle.

 

Juliette et Justine, le vice et la vertu
Textes réunis par Raphaël Enthoven
Lumière Bertrand Killy
Avec Isabelle Huppert

Jeudi 9 juillet à 22h
Cour d’honneur du Palais des papes

Festival d’Avignon
www.festival-avignon.com

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