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Juliet & Romeo, mise en scène de Ben Duke, conception de Ben Duke et Solène Weinachter, au Théâtre de la Ville / Les Abbesses, Paris

Mai 17, 2024 | Commentaires fermés sur Juliet & Romeo, mise en scène de Ben Duke, conception de Ben Duke et Solène Weinachter, au Théâtre de la Ville / Les Abbesses, Paris

 

© Bath Ustinov

ƒƒƒ article de Denis Sanglard 

Que sont les amants de Vérone devenus ? Sortis de leur tombeau par Ben Duke, réfugiés à Paris (rue de Clichy), ensemble depuis vingt ans, c’est un couple en pleine déconfiture, au bord de la crise de nerfs, et qui tente de comprendre comment ils en sont arrivés là, à ce point de rupture inéluctable. La passion s’est fracassée au fil des ans sur la banalité et l’ennui du quotidien. Alors chacun son tour on refait le film. Le bal, le balcon, le tombeau et tout le toutim. Mais les souvenirs de Juliette ne sont pas ceux de Roméo, rien ne coïncide, ou si peu. Cette histoire est un immense malentendu. La faute à Roméo qui du fond du caveau… la faute à Juliette qui crût… inutile de divulgâcher combien les héros peuvent être pleutres, les héroïnes aveugles et conduire à la catastrophe. A Shakespeare aussi la faute incombe. Le barde de Stratford-upon-Avon avait-il besoin s’en saisissant de réécrire leur histoire, une réalité augmentée, et d’inventer cette fin stupide ? Pièce illisible pour Roméo qui n’y entrave que couic à cette langue, il le dit, mais pour Juliette qui voulait une vie exceptionnelle le mirage plus que l’image de qui aurait pu être. A rejouer la pièce de Shakespeare, entre la cuisine et le salon, pour échapper à la dépression qui la ronge, Juliette finit par se prendre pour Juliette. Bovarysme ? Sans nul doute mais c’est aussi le mal de notre siècle que de prendre des vessies pour des lanternes.

Ben Duke à l’ironie mordante et cette satire, so british par son humour pince-sans-rire, caustique et décapante aussi hilarante soit-elle n’en est pas moins d’une grande férocité. La guerre des Capulet et Montaigu reconduite et réduite à sa portion congrue, entre ces deux-là et dans l’espace domestique, dégonfle salement le romantisme de nos amants désormais quinquagénaires qui n’est plus que trivialité. Pièce gigogne où la réalité se cogne à sa réinvention, c’est un jeu de miroir cruel et déformant où l’ordinaire d’une vie minuscule et ratée est renvoyée à la fiction shakespearienne qui la sublime. C’est cette torsion incongrue et malaisante, ce frottement rêche entre fiction et réalité, qui est mise en scène et chorégraphiée avec maestria par Ben Duke. Et quand les mots ne suffisent plus, impuissants à dire une vérité et son mensonge, alors on danse. Rare et éphémère instant d’accalmie, d’intimité retrouvée entre tendresse et empoignade. Et cette pièce est portée par deux acteurs formidables de complicité, Kip Johnson et Solène Weinachter, qui pulvérisent la représentation traditionnelle et classique qu’on imagine de leur personnage. Plus bergmanien que shakespearien, lui loin de toute flamboyance, quelque peu dépassé, lassé, fatigué et victime de la situation, une certaine lâcheté en sautoir et qui sait bien, lui, que tout ça était depuis le début mal parti. Elle, en burn-out, explosant devant la charge mentale quotidienne l’accablant, tentant en vain et désespérément de retrouver l’étincelle d’une passion désormais sous l’éteignoir, se réfugiant compulsivement dans l’ouvrage de Shakespeare pour combler la vacuité d’un quotidien qui lui échappe et coller un peu à l’image iconique qu’elle ne fut jamais et quelle prétend avoir été. Ils sont au diapason l’un de l’autre pour un jeu de massacre, un chamboule-tout où chacun réglant ses comptes voit ses illusions dans lesquelles ils sont enfermés tomber avec fracas. Foutu Shakespeare, donc, de les avoir ainsi calcifié au panthéon du romantisme pour des siècles et des siècles et ainsi de leur pourrir la vie, parce que la vie, la vraie, ce n’est pas ça et que pour l’amour passion à quarante ans, on repassera ! Avec Ben Duke la légende des amants éternels en prend un sacré coup dans l’aile. C’est une traversée des apparences houleuse qui lorgnerait du côté de Lacan où « l’amour c’est offrir ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». De quoi vous donner le cafard, faire pleurer toutes les Margot dans leur chaumière, mais au vrai totalement jubilatoire !

 

© Bath Ustinov

 

Juliet & Romeo, mise en scène de Ben Duke

Conception : Ben Duke et Solène Weinachter

Assistante à la mise en scène : Raquel Meseguer Zafe

Lumière : Jackie Shemesh

Décor et costumes : James Perkin

Avec Kip Johnson et Solène Weinachter

 

Jusqu’au 18 mai 2024 à 20h

Durée 1h15

 

Théâtre des Abbesses

31 rue des Abbesses

75018 Paris

 

Réservations : www.theatredelaville-paris.com

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