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Juillet 1961, texte et mise en scène de Françoise Dô, Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival Zoom d’hiver #5

Jan 17, 2022 | Commentaires fermés sur Juillet 1961, texte et mise en scène de Françoise Dô, Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival Zoom d’hiver #5

 

 

© DR

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Ecrire sur le spectacle vivant, c’est faire un travail de mémoire. C’est trouver en soi les traces d’affect, les empreintes émotives, qui attestent d’un événement après que celui-là a eu lieu. C’est avoir été touché par quelque chose, et comme Saint-Thomas s’accrocher à ce toucher pour se convaincre que l’on n’a pas rêvé. C’est remonter la chaîne de causalité qui noue l’âme du spectateur à celle, immatérielle et fantomatique, de l’œuvre.

C’est, dans le cas de Juillet 1961, témoigner du halo de lumière rouge flottant hors du temps, se remémorer deux pianos droits, au milieu de la scène, dont les capots ouverts irradient la blancheur luisante d’un ventre de baleine dans la pénombre d’un club de jazz, ressentir une entêtante et séduisante étrangeté à ce temps qui s’échappe de celui de la fiction pour hybrider celui de la musique et du son live, c’est ne plus savoir exactement où se situerait l’ici et le maintenant.

Car Juillet 1961 s’ouvre dans l’interstice minuscule entre une note frappée par le marteau du piano et son écho, dans cet hors temps qui serait celui des apparitions, des feux follets de nos mémoires courtes, dans ce no man’s land de personnages cités à apparaître dans l’espace physique et sonore d’un plateau structuré par ses deux pianos, formant couloir et entonnoir. Sensation de passer par le chas d’une aiguille. Le texte écrit par Françoise Dô est le fil, est composé des monologues de Chloé, Clarisse, et du père de Chloé. Entremêlant leur voix dans une ville quelque part aux Etats-Unis en cet été 1961, ils tissent une histoire du racisme et de violences ordinaires, une histoire de filiation aussi, une histoire collective sous le prisme de l’intime. Chloé se prostitue pour arrondir ses fins de mois difficiles de petite blanche déclassée, Clarisse est noire et travaille comme femme de chambre dans un hôtel de la ville. Elles habitent, toutes deux, le même quartier, et, y élèvent, seules, leur fille unique. L’une est blonde, tirée à quatre épingle, poupée figée sous le plastique de son impair transparent dans ses obsessions et haines ataviques. L’autre est en tenue grise, jupe et veste, cheveux en chignon emprisonné sous une petite coiffe, toute contenue dans un repli sur soi, en soi, intégrant dans son corps la domination et la menace sociétale de l’époque.

L’écriture de Françoise Dô est précise, incarnée, porteuse d’un univers de roman noir. Avec ces trois récits s’alternant par bloc, c’est un peu comme si d’un vieux glacier, des morceaux d’une autre époque s’étaient détachés pour rouler tels quels jusqu’à nous. Quelque chose d’un autre temps se matérialise sous nos yeux, comme dans un film de David Lynch : c’est la force et l’intérêt de cette fiction que d’exister dans le plus grand dépouillement. Les interprètes sont des champs de forces, elles sont aussi des lieux comme elles sont des peurs, elles sont des structures de sentiment. Chloé, Clarisse, portées par les magnifiques Rosalie Comby et Françoise Dô, sont pareilles à des papillons affolés, des biches éblouies sur leur route par les phares de l’histoire.

La grande idée de ce spectacle mis en scène par son autrice est d’avoir su offrir un espace autonome de travail aux musiciens-improvisateurs, Roberto Negro et Sylvain Darrifourcq, d’avoir su trouver ce retrait, de tel sorte que leur combinaison se construise non pas dans une superposition d’affects, mais au contraire dans un écart. Dans un possible contretemps. Juillet 1961 possède d’ailleurs une temporalité troublante, subtile, mouvante, pulsée comme une petite musique qui ne serait pas une musique mais un entrelacement désaccordé de sons, de mots, de vides. Le désaccord étant une manière de faire exister et entendre plusieurs choses à la fois, loin des esthétiques redondantes. C’est aussi faire entendre entre les deux, comme une troisième partition invisible. La valeur percussive des pianos fracture l’épaisseur du temps narratif, produit des déflagrations qui propagent leurs ondes entre deux illusions, celle de la fiction et celle du temps présent. Roberto Negro et Sylvain Darrifourcq opèrent, eux, sur le ventre ouvert de leurs pianos comme deux navigateurs dans les remous du monde.

De ce mariage du théâtre, de la fiction, et de la performance sonore naît une œuvre queer au sens où elle échapperait aux catégories, aux normes, une œuvre capable de poétiser, c’est-à-dire de faire advenir de nouvelles potentialités esthétiques, réflexives, de créer de nouveaux rapports entre les mots et le spectateur, dans une déliaison et un lâcher prise libérateurs. Officiant comme une puissante conjuration d’un passé qui justement catégorisait et interdisait.

 

 

Juillet 1961, texte et mise en scène, chorégraphie et scénographie de Gisèle Vienne

Chloé – Rosalie Comby

Clarisse –  Wanjiru Kamuyu ou Françoise Dô (en alternance)

La voix du père – Christopher Mack ou Kenneth Starcevic (en alternance)

Piano et tom : Sylvain Darrifourcq, Roberto Negro

Création musicale : Sylvain Darrifourcq et Roberto Negro

Création Lumière : Cyril Mulon

Confection des costumes : Jien Chung

Ingénieur Son : Pierre-Emmanuel Mériaud

Régisseur plateau : Yann-Mathieu Larcher

 

Durée : 1 h 15

Lundi 10 à 20 h et mercredi 12 janvier 2022 à 19 h 30

 

Théâtre de Vanves (salle Panopée)

Théâtre de Vanves

12 Rue Sadi Carnot

92170 Vanves

Tél : 01.41.33.93.70

https://www.theatre-vanves.fr

 

 

Le 18 et 19 mars 2022

Tropiques Atrium, Scène Nationale de la Martinique

6, rue Jacques Cazotte

97200, Fort-de-France

 

 

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