© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
On se dit en sortant place des Corps-Saints, qu’il aurait fallu que la chorégraphe et performeuse espagnole La Ribot ou les commanditaires de sa première création à Avignon aient le courage d’assumer un spectacle se résumant à la dernière scène. Un seul Acte d’une vingtaine de minutes : la disparition de l’artiste, de la femme. Magistral !
Car tout ce qui précède semble superflu ou manquer d’intérêt si l’on ne va pas chercher les raisons qui conduisent à de tels gestes ou telles actions.
Pourtant, sur le fond, il est intéressant de savoir que Juana Ficción a été pensé à partir de la figure de la reine Jeanne 1ère de Castille, dite affreusement « Jeanne la folle » dont La Ribot s’était déjà inspirée une première fois, trente-deux ans plus tôt avec El triste que nunca os vido, et dont un extrait de 7 minutes est proposé à la lecture sur son portable à partir d’un flashcode figurant sur la feuille de salle. Un geste à l’époque résolument féministe et revendicatif à l’occasion de la commémoration des 500 ans du débarquement de Christophe Colomb.
Cela éclaire évidemment la performance du début consistant en une course mi-poursuite mi-cachette entre La Ribot entourée d’un tulle mystérieux (qui s’avère être inspiré du Jardin des délices de Bosch) et le comédien et danseur Juan Loriente, qui se poursuit par quelques gesticulations sur un tabouret peu stable (écho à celui de 1992 sur lequel La Ribot tournait dénudée) pendant un changement de chaussures (volontairement) improbable, tandis que le merveilleux orchestre de chambre de l’auditorium de Saragosse dirigé par Asier Puga, avec le groupe vocal Schola Cantorum Paradisi enchaînent des créations musicales hétéroclites et mystérieuses du compositeur contemporain Iñaki Estrada.
Le cadre (toujours) magique du Cloître des Célestins est un écho parfait au couvent où Jeanne fut enfermée par son fils Charles Quint. Si la métaphore des tours de bicyclette s’avère moins évidente, l’écroulement de la Reine, de la femme, de l’artiste sont aussi époustouflantes que terrifiantes. Le geste est encore une fois résolument politique dénonçant l’invisibilisation des femmes et les effets toujours puissants du paternalisme des siècles après le sacrifice de Jeanne aux intérêts du pouvoir masculin et dominateur de son époque.
On peut donc être décontenancé par cette première à Avignon de La Ribot mais la mise en abîme de Juana Ficción laissera longtemps les traces de son noir profond dans nos esprits…
© Christophe Raynaud de Lage
Juana Ficciòn, conception La Ribot, Asier Puga
Chorégraphie et mise en scène : La Ribot
Dramaturgie : Jaime Conde Salazar
Direction musicale : Asier Puga
Arrangements, composition originale et musique électronique : Iñaki Estrada
Espace sonore et musique électronique : Álvaro Martín, Alexander Agricola, Álvaro Martín, Johannes Ockeghem, Josquin des Prés, Pierre de la Rue
Musique : Alexander Agricola, Johannes Ockeghem, Josquin des Prés, Pierre de la Rue
Lumière : Eric Wurtz
Création des costumes : Elvira Grau
Confection des costumes : Elvira Grau, Marion Schmid
Consultation en musicologie : Alberto Cebolla
Avec : La Ribot, Juan Loriente
Et les musiciens : Emilio Ferrando (clarinette), Fernando Gómez (flûte), Xavier Olivar (alto), Joan Germán Oliveros (saxophone), Víctor Parra (violon), Juan Carlos Segura (synthétiseur), Zsolt G. Tottzer (violoncelle)
Et le chœur polyphonique Schola Cantorum Paradisi Portae : Marcos Castrillo Sampedro (ténor), Alberto Cebolla Royo (baryton), Rubén Larrea Perálvarez (alto), Alberto Palacios Guardia (ténor)
Jusqu’au 7 juillet 2024, à 21h
Durée 1h30
Cloître des Célestins
Place des Corps-Saints
84 000 Avignon
Réservation : www.festival-avignon.com
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