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Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres, d’après Molière, adaptation de Julie Deliquet, Julie André et Agathe Peyrard, mise en scène par Julie Deliquet, Comédie-Française

Oct 04, 2022 | Commentaires fermés sur Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres, d’après Molière, adaptation de Julie Deliquet, Julie André et Agathe Peyrard, mise en scène par Julie Deliquet, Comédie-Française

 

© Brigitte Enguérand

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres est une nouvelle création de la Comédie-Française dans le cadre de sa saison Molière 2022 pour l’anniversaire des 400 ans de la naissance du dramaturge. La pièce est présentée comme une adaptation de L’École des femmes, La Critique de l’École des femmes et L’Impromptu de Versailles. Or, en réalité, c’est moins d’après ces trois pièces qu’à propos d’elles que le spectacle écrit par Julie Deliquet, Julie André et Agathe Peyrard mis en scène par Julie Deliquet (dont c’est la troisième création à la Comédie-Française) et scénographié par elle et Eric Ruf, porte et se construit fondamentalement comme son titre l’indique sur les individus clefs autour de Jean-Baptiste Poquelin dit Molière, ses femmes et les autres, c’est-à-dire les comédiens de sa troupe. La pièce est donc intéressante sur deux plans : la vie de la troupe, à la manière du Molière de Mnouchkine, en plus léché (on est au Français tout de même) et une période charnière à la fois dans la carrière de Molière et dans l’Histoire du théâtre.

Les autrices se sont en effet attaquées en effet à une année importante (1662-1663) dans « Le temps des querelles », titre d’un ouvrage passionnant de Jeanne-Marie Hostiou et Alain Viala, dans lequel Georges Forestier et Claude Bourqui ont montré « Comment Molière inventa la querelle de L’École des femmes ». Julie Deliquet ne va pas aussi loin, mais propose ce moment pointu de l’histoire du théâtre du XVIIe, idée ambitieuse qui pourrait si ce n’est rebuter, du moins ennuyer ou perdre le grand public. Or il n’en est rien. Manifestement les spectateurs adhèrent et c’est tant mieux car c’est passionnant même si le côté naturaliste n’est pas toujours facile à suivre.

On est dans une grande pièce commune d’une maison d’époque, où les comédiens entrent et sortent par différentes portes, ôtent leurs costumes de scène, se démaquillent, débattent autour d’une grande table en bois, chargée de quelques objets et victuailles. Souvent dans une large obscurité et un éclairage à la bougie, on s’invective, on rit, on se réjouit du succès des mois écoulés apportant des recettes inégalées et inespérées. On boit en fond de plateau à jardin où trône une cuisine qui pourrait être celle d’une auberge, on se rend à l’étage pour installer des lampions ou s’interpeller. Tout n’est toujours pas audible car les comédiens au sens propre et dans la méta-théâtralité s’adressent les uns aux autres parfois dos au public, comme dans le quotidien de la vie d’une troupe, dont il s’agit notamment de faire apercevoir le fonctionnement largement démocratique, qui conduit notamment à voter en assemblée afin de décider du sort de chacun, aussi bien pour discuter des projets matériels (tels la sécurité du théâtre), des distributions, des salaires que des programmations (faut-il faire une série avec L’École des femmes ?). Ce fonctionnement que l’on retrouve en partie dans l’institution actuelle de la Comédie-Française, ne donne à personne le premier rôle, notamment pas Jean-Baptiste Poquelin, un fringuant Molière une décennie avant sa disparition, dans le jeu de Clément Bresson. Aucune fausse note dans cette distribution, notamment féminine. Florence Viala et Adeline d’Hermy sont délicieuses chacune à leur manière dans les rôles de Madeleine et d’Armande, Elsa Lepoivre est une Mlle du Parc comme on l’imagine idéalement. Les hommes excellent aussi dans leurs personnages respectifs, mais on ne peut nier qu’on eut aimé qu’une place plus grande soit faite à Hervé Pierre pour son dernier rôle en tant que sociétaire. Il quittera donc la troupe du Français avec discrétion et modestie, et on n’aura plus que les souvenirs de son fabuleux Peer Gynt pour nous réconforter et le cas échéant la consolation de pouvoir le voir incarner une dernière fois Galilée dans une reprise à l’automne.

Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres offre enfin une réflexion passionnante sur ce qui fait œuvre théâtrale. Quel crédit accorder à la jalousie de ses rivaux ? Faut-il y répondre et jusqu’à quand car critiques et contre-critiques peuvent s’enchaîner ? Force est néanmoins de constater que La Critique de l’Ecole des femmes fut une savante réponse de Molière sous forme de comédie, qui démultiplia son succès. Mais faut-il vraiment que la pièce plaise et à qui ? (« Si tu savais un peu moins plaire, tu ne leur déplairais pas tant » écrivit Boileau à Molière). Vaut-il mieux avoir l’approbation de la Cour ou du parterre ? Lequel a le meilleur jugement, le « sens commun » ? Quand à son lever, le Roi exige que dans l’après-midi même représentation lui soit donnée d’une pièce qui n’est même pas achevée, Molière ne se pose plus de question. La pièce sera montrée, en dépit des récriminations des comédiens qui ne connaissent pas encore leurs textes. Mais cet Impromptu de Versailles sera un nouveau pied de nez du dramaturge à ses rivaux. Une belle leçon du XVIIe que nous rappelle les autrices du XXIe.

 

© Brigitte Enguérand

 

Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres, d’après Molière

Mise en scène : Julie Deliquet

Dramaturgie : Agathe Peyrard

Scénographie : Eric Ruf et Julie Deliquet

Costumes : Julie Scobeltzine

Lumières : Vyara Stefanova

Son : Vanessa Court

Collaboration artistique : Julie André

Assistanat aux costumes : Yanis Verot de l’académie de la Comédie-Française

Avec : Florence Viala, Laurent Stocker, Elsa Lepoivre, Serge Bagdassarian, Adeline d’Hermy, Sébastien Pouderoux, Pauline Clément, Clément Bresson
Et en alternance Lena Pachurka, Amalia Culiersi, Louisa Jedwab (Angélique), Marceau Adam Conan, Viggo Ferreira-Redier, Raphaël Sebah (Jeannot)

 

Durée 2 h 30 (dont un entracte)

Reprise du 12 octobre 2022 au 15 janvier 2023

En matinée à 14 h, en soirée à 20 h 30

 

Comédie-Française

Place Colette, Paris 1er

Salle Richelieu

www.comedie-francaise.fr

 

 

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