article de Denis Sanglard
Qui est-il cet homme perdu ? Ne se souvenant plus de rien, juste de son prénom, d’une lettre initiale pour nom et qu’il fut historien. De l’Histoire, la grande, celle du XXème siècle rien n’est oublié. Mais de la sienne il ne lui reste que quelques lambeaux. Amnésie ? Et qui sont ces deux-là, Didier Forbach et Céline Brest, dans cette chambre, ce laboratoire, qui s’obstinent à lui appliquer La Méthode, celle qui lui permettrait de recouvrer cette mémoire intime perdue ? Infirmiers, chercheurs, fous ? Quels sont leur but en réalité ? Dernière création de Gérard Watkins « Je ne me souviens plus très bien » interroge la mémoire collective, la sélection que nous opérons face aux événements, l’oubli nécessaire, volontaire ou inconscient pour survivre. Antoine D., historien n’a rien oublié de son siècle. Ses rêves débordent des grands événements du XXème siècle qui fut le sien. Et suscite l’étonnement agacé de ses deux interlocuteurs pugnaces. Qui n’ont de cesse de le harceler, de lui creuser la cervelle, de tenter de lui trouver une identité. Seulement voilà, plus ils creusent, plus des gouffres s’ouvrent en eux et dévoilent peu à peu des intentions peu louables. Chacun est en quête d’une identité perdue. Antoine D. a choisi l’Histoire au détriment de sa propre histoire. L’oublie n’est pas une déficience de la mémoire mais son corolaire nécessaire, indispensable. Le choix d’Antoine, celui de ses souvenirs et de ses oublis volontaires, le détermine. Comme elle détermine chacun. Cette confrontation des trois dans ce laboratoire, ce procès, c’est avant tout et surtout l’incompréhension entre trois générations qui, sur l’Histoire, ne peuvent avoir le même regard.
© Giovanni Cittadini Cesi
Gérard Watkins délabyrinthe une thèse séduisante, une interrogation mordante sur notre société et son regard sur l’Histoire mais, las, bientôt se perd dans l’écheveau des fils qu’il tend, des propositions qu’il amorce. On finit par se perdre dans les méandres d’une pensée qui devient bientôt obscure. Surtout la fin, bientôt prévisible, ôte tout intérêt à la réflexion suscitée, fait retomber cette création dans une trivialité à laquelle on ne s’attendait pas, que l’on n’espérait surtout pas. D’un procès kafkaïen et intrigant, on passe bientôt à un vaudeville familial où la charge se fait un peu lourde, voire caricaturale. Et emporte avec elle la démonstration et l’originalité du propos initial. Rien à dire pourtant sur la mise en scène impeccable et parfois drôle. Gérard Watkins avec bonheur évite le pensum et allège le propos par une mise en scène légère, forçant çà et là le trait sans jamais tomber dans l’outrance. Les comédiens sont excellents. Géraldine Martineau particulièrement qui offre un personnage détonnant. Philippe Morier-Genoud, Antoine D., compose un vieillard rétif, fragile et ambigu.
Mais cela ne sauve pas l’ensemble de l’ennui qui peu à peu effrite cette création, l’intérêt initial s’émoussant devant la fin si tristement plate annoncée. On sait Gérard Watkins attentif aux soubresauts de son époque. « Identité », sans doute la plus marquante de ses créations, ou « Lost (Replay) », ses dernières œuvres, ont montré l’acuité de son regard, son inquiétude fébrile. « Je ne me souviens plus très bien » porte encore ce regard étonné de faux naïf mais va sans doute plus loin en interrogeant la source de nos maux actuels, l’inscrivant en quelque sorte dans le temps. Ce n’est sans doute pas la meilleure ou la plus aboutie parmi les récentes créations de Gérard Watkins mais accordons lui cette honnêteté et cette cohérence dans le propos qui suscite quand même l’adhésion. Disons que nous sommes déçus comme d’un rendez-vous attendu mais manqué.
« Je ne me souviens plus très bien »
Texte, musique et mise en scène de Gérard Watkins
Avec Géraldine Martineau, Philippe Morier-Genoud, Fabien Orcier
Scénographie et lumières Michel Gueldry
Collaboration artistique Yann Richard assisté de Laurène Fardeau
Collaboration au son François Vatin
Costumes Gérard Watkins, Laurène Fardeau
Perruques et maquillage Sylvie Caillier / Portrait de nuitThéâtre du Rond-Point
Salle Roland Topor
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Du 9 septembre au 5 octobre 2015 à 20h30
Dimanche 15h30 – relâche les lundis
Réservations 01 44 95 98 21
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