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Je n’ai pas le don de parler, textes de Robert Walser, mise en scène d’Agathe Paysant, au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine

Nov 21, 2023 | Commentaires fermés sur Je n’ai pas le don de parler, textes de Robert Walser, mise en scène d’Agathe Paysant, au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine

 

© Anthony Devaux

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

L’air de rien est un air souverain. Ce rien fait l’étoffe des héros. Cet air silencieux, on pourrait s’en repaître sans faim pendant des heures, enivrant à la manière de Rimbaud : « jadis si je me souviens bien ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs ». Un acteur et une actrice s’approchent benoîtement, l’air de rien, et s’ouvrent à nous sans faire étalage de mots. De longues minutes, en guise d’introït, un théâtre sans parole nous parle avec clarté. Pour cette première création, Agathe Paysant et sa compagnie la Décision affichent une sorte de manifeste théâtral tant l’acte se pose dans une impérieuse, et pourtant humble, affirmation, faisant ainsi table rase. Je n’ai pas le don de parler, titre tiré du texte de Blanche-Neige de Robert Walser, prend ici une valeur performative et programmatique. Bien sûr les mots surgiront, mais comme empreints d’une fragilité, d’une indécision, d’une difficulté, d’un trouble, qui paradoxalement les affermit, qui laisse entendre autant voire plus encore, ce qui est tu que ce qui s’exprime. Ce que les mots ne sauraient dire. C’est un acte de naissance théâtral que l’on dresse sous nos yeux et qui fait acte de rébellion tant le théâtre contemporain est au contraire souvent gros d’un discours à tenir.

Robert Walser est le héraut de la marge, de l’incompréhension, de la folle singularité quand la société nous impose sa maladive conformité. Il est le chemin des privilèges pour reprendre les mots de Pessoa, ce chemin de travers qui explore la tortuosité des pensées et des relations humaines avec comme seule boussole l’ingénuité critique et poétique de l’enfance. La direction d’acteur prendra ici résolument le parti de la malice, seule politique et éthique ouvrant le sens au dehors de la norme qui emprisonne la pensée. Être malicieux sur une scène, ce sera faire preuve d’une intelligence de jeu qui ne truque pas, mais démonte sous nos yeux le fond de la représentation, donnant à voir sa précarité, articulant la figure du personnage à celle de l’acteur, et nous donne à jouir de cet entre-deux, de cet écart manifeste, faisant des acteurs les marionnettistes de leur propre personne, tirant les ficelles arrimées à celles de leur personnage. Je n’ai pas le don de parler pourrait même se recevoir comme une Théorie et pratique de l’acteur (pour faire référence au spectacle de Maxime Kurvers) interrogeant à la façon d’un jeu de bonneteaux la question de la vérité et de la croyance, Blanche-Neige étant au cœur du réacteur, étant mise à la question, dans une irrésistible mais insolvable quête de l’origine du vrai : sa belle-mère a-t-elle voulu la tuer ? y-a-t-il de l’amour ou de la haine ? Le conte explose dans le tiraillement des mots qui échappent, résistent, incapables de conclure. Dans ce sac de nœuds, particulièrement ludique et littéralement exprimé au plateau, les renversements de situation sont autant de doubles jeux et double-fonds dont on peinerait à trouver la solution. Le vrai et le faux finissent par se confondre, ou plus justement participent d’un même réel où ils se superposent à la manière quantique. Ils sont impartageables.

Je n’ai pas le don de parler fait de ce qui pourrait être une faiblesse sa force : l’économie de moyens imposée à cette première production l’oblige à une inventivité du peu mais d’une grande force théâtrale, et d’une vraie justesse dramaturgique. Agathe Paysant choisit la littéralité, qui est une façon de redoubler le nom des choses par les choses elles-mêmes et de faire naître une poésie de leur confrontation. C’est ainsi une immense toile de coton noir recouvrant l’entièreté du plateau endeuillant le paysage comme le texte le décrit en prologue. C’est encore cette brioche toute dorée, descendant d’un fil lors de la rencontre amoureuse de Blanche-Neige et du prince, tout enflé d’amour. Les sentiments gonfle le jeune homme comme la brioche. Ils se goinfrent et s’ôtent ainsi les mots de la bouche. Ce théâtre de chambre, que l’on jurerait chuchoté au creux d’un rêve, s’emparant des figures élimées d’un conte sempiternellement répété, figures d’ailleurs habillées de hardes et autres matières recyclées, ce théâtre, s’il est analytique, l’est par sa façon aiguë de nouer la psyché à la matérialité sans médiation aucune. L’essence du théâtre est dans ce geste.

 

© Anthony Devaux

 

Je n’ai pas le don de parler, d’après les textes de Robert Walser

Traduits par Hans Hartje, Claude, Mouchard, Nicole Taube

Une création d’Agathe Paysant

Jeu : Marc Bertin, Camille Duquesne, Alban Gérôme, Nathalie Pivain, Marc-Antoine Vaugeois

Scénographie : Simon Restino

Lumières : Philippe Ulysse

Regard costumes : Élise Garraud

Création sonore : Camille Lacroix

Regard dramaturgie : Juliette de Beauchamp

Regard chorégraphique : Vincent Dupuy

Couture : Valentine Calot

Avec la participation de Virginie Colemyn pour la création du rôle de la Reine

Durée : 1h25

 

Vendredi 10 novembre 2023 à 20h, samedi 11 novembre 2023 à 18h, dimanche 12 novembre 2023 à 16h, lundi 13 novembre 2023 à 20h

Studio-Théâtre de Vitry

18 av. de l’Insurrection

94400 Vitry-sur-Seine

Tél : 01.46.81.75.50

https://www.studiotheatre.fr

 

Du 6 au 9 décembre 2023 à 19h30 sauf vendredi à 20h30, et samedi à 18h

La Commune

2 rue Édouard Poisson

93300 Aubervilliers

Tél : 01 48 33 16 16

https://www.lacommune-aubervilliers.fr

 

Du 18 au 23 mars 2024 à 21h sauf samedi 19h30

L’Échangeur

59 avenue Général du Gaulle

93170 Bagnolet

Tél : 01  43  62  71  20

https://lechangeur.org

 

 

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