© Baptiste Cogitore
ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Je hurle fait partie des pépites que l’on est heureux de trouver dans le Off du Festival d’Avignon. Un texte engagé, une mise en scène originale et poétique, un accompagnement musical d’une grande richesse, une énergie passionnée des interprètes.
Je hurle est un cri pluriel, polymorphe et multidimensionnel. Un cri au sens propre, à travers des mots et des sons. Des mots proférés, hurlés même parfois, du papier, déchiré, découpé, froissé, transformé, recomposé, le gémissement de l’archet sur les cordes et les pizzicati affolés. Un cri au sens figuré, celui d’une adolescente afghane, Zarmina, qui n’a trouvé que le suicide pour échapper à l’interdiction d’écrire, celui de toutes les poétesses afghanes qui doivent se cacher pour composer et rimer, celui de toutes les femmes et défenseurs de la liberté d’expression, de penser, et de l’égalité femmes-hommes. Un cri porté par une histoire réelle et cruelle, magnifié par une mise en scène poétique et tragique, qui trouve un équilibre improbable et pourtant d’une grande justesse entre le théâtre de marionnettes et le théâtre documentaire.
Le papier sert de medium principal à la narration. Des feuilles, puis des rouleaux, savamment chiffonnés et agencés se transforment en poupées éphémères représentant toutes ces filles et ces femmes, empêchées de s’exprimer, enfermées dans un statut social inférieur inacceptable. Le papier blanc, évidemment symbole de pureté, mais aussi bariolé par ce qui a été précédemment écrit dessus, comme autant de traces des coups portés, des blessures infligées, du sang jaillissant de ces corps séquestrés.
La contrebasse et la composition de Jérôme Forher qui alternent entre les sonorités occidentale et orientale n’accompagne pas seulement la narration, elle y participe pleinement tout en accentuant la dimension tragique de la création qui une heure durant se déroule dans une course folle.
Concomitamment à la dimension proprement dramaturgique du spectacle, le propos se veut aussi didactique et documenté. Des extraits de presse, d’enregistrements clandestins de lectures de poétesses afghanes et d’un entretien avec l’ex députée et vice-ministre Najiba Sharif sont diffusés sur des écrans vidéo éphémères suspendus à des structures métalliques symbolisant des cages où les barreaux ne sont même pas nécessaires pour susciter l’autocensure et la privation de liberté (intellectuelle).
Bien que créé en 2018, le texte du spectacle a été actualisé, notamment avec des chiffres sur les taux de scolarisation et les inquiétudes nées de la décision récente de Joe Biden de retrait des troupes américaines d’Afghanistan, qui permet aux Talibans de revenir en force.
Un spectacle citoyen que les Festivaliers doivent soutenir en s’y rendant sans hésitation.
© Baptiste Cogitore
Je hurle de Eric Domenicone, Mirman Baheer
Mise en scène : Eric Domenicone
Avec : Yseult Welschinger, Faustine Lancel
Dramaturgie : Magali Mougel
Scénographie : Antonin Bouvret
Création musicale et musique sur scène : Jérôme Forher
Conception marionnettes : Yseult Welschinger
Témoignages, recherches documentaires : Najiba Sharif
Réalisation portrait vidéo : Sophie Langevin
Régie Générale et création lumière : Chris Caridi
Régie son : Dimitri Oukkal
Régie lumière : Maxime Scherrer
Costumes : Blandine Gustin
Durée 1 h
Jusqu’au 29 juillet à 13 h 05
Relâche le lundi
Festival d’Avignon – Off
11.Avignon
11 boulevard Raspail
84000 Avignon
www.11avignon.com
Tournée en France en 2022
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