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J’aurais mieux fait d’utiliser une hache, création du Collectif Mind the Gap, au Théâtre Montfort

Mar 15, 2023 | Commentaires fermés sur J’aurais mieux fait d’utiliser une hache, création du Collectif Mind the Gap, au Théâtre Montfort

 

 ©Marie Charbonnier

 

ff Article de Denis sanglard

Connaissez-vous le « slasher movie » ? Film d’horreur comprenant un tueur toujours masqué, ou au choix défiguré, une bande de jeune ados dézinguée à l’arme blanche, particulièrement la nuit. Appliquant ça au théâtre dans la plus pure tradition du feu Grand-Guignol, le collectif orléanais Mind the Gap sème la terreur au Théâtre Montfort. Enfin presque, c’est surtout la mécanique et le procédés de fabrication qui sont mis à nu ici. Création en deux parties jubilatoires, un jeu de massacre saignant à point où l’on hurle, de peur comme de rire.

Première partie, une fiction radiophonique, il est donc recommandé ici de fermer les yeux pour que nous gagne lentement et surement l’effroi. Les acteurs réalisent en direct et au micro dialogues et bruitages, usant d’objets et de matières divers et variés, du parapluie à la bande magnétique, peau de chamois et eau … Si donc on ne voit rien que ce fourbis qui encombre le plateau, on imagine aisément et nous voilà plongé dans un camps de scouts, aussi terrorisés et affolés que les spectateurs par la disparition d’un des leurs et le silence d’une nuit déchirée de bruits hostiles, de pas feutrés et d’une contines sifflotée -allez savoir pourquoi elles sont toujours en ces circonstances sifflotées- « dans la troupe, il n’y pas de jambe de bois… » On ne saura rien de la fin de cette histoire chuchotée, distillée comme un poison, mais la création réussie de cette atmosphère hostile et glaçante suffit à nous faire comprendre que tout ça risque de mal finir.

La seconde partie se passe dans une cuisine, une jeune fille coupe des carottes, cherche son chat. Le téléphone sonne, personne au bout du fil. La jeune fille raccroche. Le téléphone sonne de nouveau, c’est un homme qui appelle. La jeune fille raccroche. L’homme rappelle… Avant de surgir, visage masqué, brandissant un poignard. Le sang gicle, la jeune fille meurt horriblement. Mais ce qui pourrait s’arrêter là, n’être qu’une banale scène de crime inspirée du film Scream, fait l’objet d’une répétition avec de multiples variantes où le processus de fabrication prend le pas sur la scène elle-même, dans un déchaînement démonstratif de plus en plus fou et hilarant du mécanisme quasi artisanal qui conduit à l’horreur. Litres de sang par seau, musique anxiogène, bruitage étrange, lumière vacillante, voix, le jeu stéréotypé de l’actrice et la silhouette de l’assassin. La scène en elle-même disparaît au profit du hors-champs, des artifices dénoncés, des accessoiristes de plus en plus présent dans cette cuisine étroite, dans une surenchère progressive d’effets qui dénonce et désamorce la fabrique de l’horreur, ce processus malin qui enferme le spectateur dans un cauchemar dont au final il se repaît. On a beau savoir qu’il y a un truc, que c’est pour du faux, on s’attend avec espoir et appréhension au pire qui ne manque pas d’arriver et c’est le même sursaut de frayeur à chaque fois, le même plaisir coupable.

Le collectif Mind the Gap joue habilement sur cette attente des spectateurs, cette sidération pas si innocente que ça. C’est de notre fascination irrépressible et trouble pour l’horreur, faits-divers ou fictions qu’il est question ici et dont il se joue avec un esprit effilé et tranchant. Effet cathartique de la monstruosité révélée comme le théâtre depuis ses origines en fit une règle et que le Grand-Guignol exploita sciemment en exploitant les faits divers les plus sordides ? Surement. La réponse n’est pas dans cette cuisine sanglante où l’innommable le dispute au rire, mais dans l’esprit de chacun des spectateurs renvoyés à ces propres ambiguïtés et contradictions devant sa fascination pour le pire. Et ça, ça fiche vraiment la trouille.

 

©Marie Charbonnier

 

J’aurais mieux fait d’utiliser une hache, conception du Collectif Mind the Gap

Mise en scène et interprétation : Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano et Coline Pilet

Dramaturgie : Léa Tarral

Création sonore : Estelle Lembert

Création lumière : Quzntin Maudet

Scénographie/costumes : Clémence Delille

 

Jusqu’au 18 mars, à 19h30

 

Théâtre Le Monfort

106 rue Brancion

75015 Paris

 

Réservations : 01 56 08 33 38

www.lemonfort.fr

 

 

 

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