© Manuelle Toussaint
ƒƒƒ article de Denis Sanglard
Aucun doute, c’est bien Raymond Devos ! Pas de doute, c’est François Morel ! Voilà un spectacle de doux dingues, d’une poésie miraculeuse, d’une folie sans furie mais allègre. Et ça fait un bien fou en ces temps incertains. Raymond Devos est mort, vive Raymond Devos… Et merci à François Morel de nous rappeler combien ce clown, ce grand fantaisiste qui de la langue française exhaussait la logique cartésienne et fantasque jusqu’à l’absurde, ne ressemblait à personne d’autre pas même à Dieu lequel, mauvais joueur, a fini par le convoquer – fini de rire ici-bas ! – un triste jour de juin de 2006. Car comme le dit si bien François Morel, si Dieu a créé le monde, Raymond Devos, lui, c’est un univers. Et toc, un clou d’enfoncé ! Un univers où la folie est raison parce que le monde, le siècle – le sien comme le nôtre – met la raison en échec. Raymond Devos avait la folie lucide des grands bouffons propre à dénoncer la bêtise humaine et de s’en amuser. François Morel ne lui rend pas hommage, non. C’est mieux que ça. Il ne se prend ni pour Dieu, qu’il imite très bien, ni pour Raymond Devos qu’il n’imite jamais. François Morel, fleur bleue comme il est indiqué sur sa carte de visite, reste à sa place, histrion lunaire et pragmatique tout à la fois, réinterprétant à sa manière unique et insensée, voire joliment naïve parfois, la poésie de Raymond Devos. C’est un récital où François Morel joue et chante (Ah, L’oie de Louis en version lied !), revisite le répertoire à sa façon et sans façons avec une gourmandise non feinte. Exercice d’admiration certes, mais plus encore, le bonheur immense, ça se voit, de partager cet univers poétique et dingue où le verbe, la langue si pointue, aiguisée, claire, alerte de ce magicien était une matière vivante et rétive avec laquelle Raymond Devos jonglait haut comme il jonglait avec cerceaux, balles et boules de bowling. François Morel ne se prend pas pour Raymond Devos. Mais il réussit à tirer à lui, avec brio et sans forfanterie, sans jamais le trahir, cet univers sens dessus dessous où parler pour ne rien dire est un exercice aussi délicat que d’enfoncer le même clou sans explication à donner ou de découvrir que son chien c’est quelqu’un tout en pianotant du Fernando Sor et jouer de la scie musicale en partance pour Caen découvrir la mer même démontée… C’est un récital joyeux, hilarant et le plus souvent pince sans-rire où le non-sens absolu est la logique imparable et la règle. Avec ça quelques trouvailles, pépites précieuses d’émotion, qui vous bouleversent, déchirant soudain le rire énorme qui ébranle la salle. La voix du Maître à la question par Jacques Chancel dans Radioscopie, incise qui soudain oblige au silence. Un ange passe et sans l’ombre d’un doute, un dernier soupir post mortem. Et ce récital d’histoire à dormir debout ne serait pas tout à fait ce qu’il est si François Morel n’était accompagné d’un drôle de ludion, souffre-douleur consenti, l’incroyable et quelque peu farfelu pianiste Antoine Sahler (en alternace avec Romain Lemire). Lequel a composé la musique de ce récital loufoque et donne la réplique, une véritable joute verbale drolatique, un vrai duo, à François Morel. On pense évidemment aux deux pianistes de Raymond Devos, Jean-Michel Thierry et Hervé Guido sans qui cet hommage serait incomplet. Et puisque savoir choir est tout un art, François Morel indiscutablement a l’art du gag léger et de la chute impromptue. Si la dernière n’est pas fatale, à moins de s’étrangler – au réel – de rire, elle conclue joliment, avec douceur, en apesanteur, avec intelligence, cette création désopilante. Le monde est fou, au bord du gouffre même, prêt à basculer, mais avec Raymond Devos et François Morel le rire, même primitif, propre de l’homme, rend tout ça supportable. Sans l’ombre d’un doute.
© Manuelle Toussaint
J’ai des doutes textes de Raymond Devos
Un spectacle de et avec François Morel
Composition musicale Antoine Sahler
Musique et interprétation Romain Lemire en alternance avec Antoine Sahler
Assistanat à la mise en scène Romain Lemire
Lumières Alain Paradis
Son Camille Urvoy
Costumes Elisa Ingrassia
Poursuite Françoise Chapero
Conception, fabrication et mise en jeu des marionnettes Johanna Ehlert et Mathieu Siefrid-Blick Théâtre
Direction technique Denis Melchers
Du 4 décembre 2018 au 6 janvier 2019 à 18h30
Dimanche, 18h30
Relâche les lundis, le 9 et 25 décembre et le 1er janvier
Représentation du dimanche 6 janvier à 15h
Théâtre du Rond-Point
Salle Renaud-Barrault
2bis av. Franklin D. Roosevelt
78008 Paris
Réservations 01 44 95 98 21
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