© Simon Courchel
ff article de Denis Sanglard
It’s got legs !!! ou comment le music-hall entre en collision frontale avec la performance pour un résultat complétement azimuté et des plus réjouissant, bien plus subtil et moins potache qu’il n’y parait. C’est kitch, glamour et franchement queer, oscillant entre le sublime et le pathétique… Il faut imaginer ces deux superbes gaillards, nus comme au premier jour, collants noirs affinant leurs jambes (et quelles jambes !) et ne cachant pourtant rien de leur anatomie, s’emparer des figures iconiques et désormais et pour toujours camp de Marylin Monroe et Jane Russel, Bette Davis et Joan Crawford, Judith Garland, Gwen Verdon, rêver des Demoiselles de Rochefort, traverser superbement la danse de Bob Fosse et titiller celle d’Yvonne Rainer, on croit deviner Anna Halprin aussi, ou se métamorphoser en oiseaux lubriques pour une parade amoureuse, un baiser cloacal dans une séquence hilarante et inattendue… Les références percutées dans un même élan ne manquent pas, les associations incongrues non plus, encore moins leur talent certain à reprendre à l’identique chorégraphies, techniques et vocabulaires propre à chaque emprunt, promptement déconstruits, détournés, pulvérisés. Un sens aigu du détail, une acuité à bouleverser les codes, les champs chorégraphiques et esthétiques empruntés, Broadway versus la danse contemporaine et post-moderne, qu’ils se réapproprient en les associant dans un « double-act » burlesque, duo comique où la complicité des deux sur le plateau n’a d’égale que leur rivalité dans la coulisse. Chaque tableau finit inévitablement par déraper. Interprétation loufoque (qui n’empêche nullement la rigueur et le sérieux, le talent phénoménal), certes, où chaque figure incarnée, toujours de façon gémellaire, se reconnait à quelques simples détails, une perruque blonde ou brune, un pan de robe juste plaquée mais reconnaissable entre toute (la petite robe noire de Judith Garland ou les fourreaux rouges pailletés des [les] Hommes préfèrent les blondes ou des [les] Demoiselles de Rochefort). C’est le corps mis à nu (au sens propre comme au figuré) et seulement lui qui a véritablement la charge de l’évocation. Parfois même nos deux disparaissent, ne restent sur la scène qu’une paire de jambes artificielles s’agitant de façon mécanique, résumant de façon lapidaire à quoi on pouvait bien résumer parfois le talent des interprètes sinon l’interprète lui-même. C’est d’ailleurs ce côté aussi éphémère et terrifiant, voire pathétique, du show-biz comme de la performance qui vous réduit au final à un simple détail obérant l’ensemble d’une carrière qui est dénoncée. Ici, il ne restera rien au final de l’incarnation de ces deux compères, juste deux mèches de cheveux d’une perruque s’obstinant à sautiller sur Two little girls from Little Rock. Imparable.
It’s got legs !!! c’est aussi en creux le portrait intime de deux danseurs, de leurs influences et parcours, leurs expériences, leur propre relation et complicité. Ils n’ont rien physiquement de celles et ceux qu’ils évoquent avec brio et talent monstre, sont plutôt balèzes, ne cherchent même pas à se transformer, ni dragqueen ni travestis, simplement vêtus de leur nudité. En ça, ils s’interrogent avec humour et autodérision sur leur propre ambivalence, leur culture fortement queer, leurs influences chorégraphiques, un imaginaire collectif entre freak et camp, en quoi cela s’inscrit dans le corps que dénoncent quelques gestes et mouvements plus ou moins conscient vous trahissant malgré vous. Cette performance est aussi une tentative non de déconstruction de leur personnalité, ils le sont déjà il nous semble, mais d’exploration de celle-ci. Cette revue (faussement) de bric et de broc, en apparence bricolée, qui enchaîne les tableaux avec bonheur n’est pas qu’une métaphore de la vie d’artiste, son envers et son endroit, ces hauts et ces bas, pas non plus seulement un hommage à quelques figures iconiques, c’est aussi une interrogation sur ce qui nous construit, ces dualités qu’il faut vaille que vaille concilier. D’où ce titre anglais à double-sens : « avoir des jambes » c’est aussi « avoir un potentiel ». Un potentiel qui ne se réduit pas justement à un simple jeu de jambes.
© Simon Courchel
It’s got legs !!!, performance et chorégraphie de Samir Kennedy et Sean Alexander Murray
Scénographie, objets : Tis Spooner
Régie générale : Seth Rook Williams
Dramaturgie : Joa Moran
Regards extérieurs : Liz Rosenfeld
Son : Samir Kennedy
Du 15 au 17 octobre 2025 à 20h30
Durée 1H
Spectacle réservé à un public majeur (nudité)
Et comporte l’utilisation de lumières stroboscopiques
La Ménagerie de verre
12 rue Léchevin
75011 Paris
Réservations : O1 43 38 33 44
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