À l'affiche, Critiques // Item, mise en scène de François Tanguy, par le Théâtre du Radeau au T2G – Théâtre de Gennevilliers avec le Festival d’Automne à Paris

Item, mise en scène de François Tanguy, par le Théâtre du Radeau au T2G – Théâtre de Gennevilliers avec le Festival d’Automne à Paris

Déc 18, 2019 | Commentaires fermés sur Item, mise en scène de François Tanguy, par le Théâtre du Radeau au T2G – Théâtre de Gennevilliers avec le Festival d’Automne à Paris

 

© Jean-Pierre Estournet

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

La lumière est allumée dans le couloir. La table carrée est recouverte de sa toile cirée. Dans l’épaisseur de la fin d’après-midi, qui est celle-là même, et toutes celles passées et toutes celles à venir, le chant des oiseaux picorant la lumière dorée d’un tableau de Rembrandt. Ils sont immobiles, silencieux, assis de profil de part et d’autre de la table, partageant quelques miettes d’éternité. Cela pourrait s’appeler : autopsie d’un instant ou bien anatomie du temps.

Le temps balbutie en moi. Mon grand-père et quelques visiteurs assis dans la cuisine assombrie. Ils se taisent, rivés à la table, et pourtant ce silence ne m’effraie pas. Au contraire, je comprends que c’est par ces absences qu’ils redeviennent présents aux autres, respirant le monde dans un même saisissement.

Le Théâtre du Radeau possède cette science et cette conscience capables de faire affleurer à la mémoire de chacun ces bancs de souvenirs oubliés, conjuguant avec une rare sensibilité l’éphémère de l’acte théâtral et l’ineffable paysage émotif propre à chaque spectateur. Sans relâche, avec la même exigence, de spectacle en spectacle, le Radeau fouille et retourne l’âme et le corps du théâtre comme un arrière-fond métaphysique, remuant ces pans de vies héroïques – les auteurs qui composent les livrets du Radeau sont ceux-là qui savent exhausser la grandeur et la misère humaines – comme autant de panneaux à la peinture écaillée, à la tapisserie fleurée. À l’instar de la scénographie de François Tanguy, le Théâtre du Radeau est cette réserve de vies, ce débarras de gestes, cette remise de voix, dont jamais on ne terminerait l’inventaire, nous plaçant à l’endroit de ce vertige : la liste infinie (item) des figures théâtrales, des inventions poétiques qui, sans jamais la résoudre, tentent coûte que coûte d’approcher l’énigme existentielle.

Item est une pièce à cœur ouvert. Une chirurgie de l’âme, affrontant l’inéluctable promesse du départ. Ou plutôt l’impossibilité de s’y confronter, comme dans le célèbre tableau de Rembrandt (La leçon d’anatomie du docteur Tulp), dont la reproduction est précisément posée sur la table à la toile cirée. Que regardent-ils, ces hommes, entourant un cadavre que l’on dissèque, quand leurs regards fuient justement la leçon qui leur est faite ?

Robert Walser et Fiodor Dostoïevski sont les éveillés qui inlassablement réorientent vers la béance nos regards fuyants. Dans l’interstice des mots de Walser, entre digression et esquive, le minotaure se dresse, qu’il lui est impossible de figurer. Le prince Mychkine au contraire s’acharne à vouloir en faire le portrait. Jusqu’à croiser le regard du condamné à mort. Jusqu’à annoncer sa mort prochaine. Dans ces deux éthiques, l’inutile refus (vous n’avez pas su me faire sortir) ou la douce acceptation (j’ai l’honneur de vous inviter à mon enterrement), un même tragique s’exprime, dont le Radeau ne fera pas de drame, au contraire fera preuve d’une incroyable douceur, et pour cela même nous émouvra au plus haut point. Trépasser, c’est se faire tirer le tapis sous les pieds. C’est manquer sa sortie. C’est rouler dans un geste sublime la nappe cirée comme la toile d’un impossible portrait.

La radicalité d’Item se détache d’autant plus qu’un calme étrange règne sur le plateau. La musique s’est estompée, comme une mer qui aurait reflué, dont il ne resterait qu’un bruissement, un bercement. Les panneaux se sont figés sauf lorsqu’ils basculent, plus rarement, comme des couperets. Le bruit et la fureur qui souvent soulevèrent le Théâtre du Radeau ont laissé place à l’ultime accalmie. Il faudrait trouver le mot juste qui rendrait grâce à cet art des acteurs du Radeau, tant il œuvre aux émotions qui nous traversent aussi profondément. Je proposerai l’exactitude.

Être exact, c’est ne pas, acteur, prétentieusement dépasser les mots ou les pensées, mais les affirmer dans leur plénitude et leur fragile puissance, c’est leur laisser libre cours, une fois énoncés, tels une meute de loups s’éparpillant dans les forêts de l’imaginaire. C’est être là, sans rien retenir ni appesantir, dans la simplicité de l’être au monde, débarrassé de la vanité des rôles en se vêtant de la gloire du roi nu : un pourpoint élimé, un dérisoire chapeau-cadeau, une tête de taureau. C’est dire la vérité comme une chose en soi dans l’instant de son éclosion. C’est donner à voir le petit pan de mur jaune. C’est donner de sa personne et remplir la figure sans jamais en déborder, quand bien même le peintre se glisserait dans le tableau pour une dernière retouche. C’est annoncer que l’on va mourir avec la désarmante et bouleversante fraîcheur de l’enfance. C’est être honnête avec soi-même.

Dans l’obscurité et le silence, ils s’assemblent une dernière fois autour de la table carrée. Ils forment une communauté. Ils chantent une ballade de Bertold Brecht. Dans la noirceur des temps, ils veillent au milieu des hommes endormis.

Voir Item et puis partir.

 

© Jean-Pierre Estournet

 

 

Item, mise en scène et scénographie de François Tanguy

Élaboration sonore Éric Goudard, François Tanguy

Lumières François Fauvel, Julienne Rochereau, François Tanguy

Avec Frode Bjørnstad, Laurence Chable, Martine Dupé, Erik Gerken, Vincent Joly

Régie générale François Fauvel

Régie lumière François Fauvel, Julienne Rochereau, Jean Guillet

Régie son Éric Goudard, Mickaël Kandelman et Emmanuel Six (en alternance)

 

 

Du 6 au 16 décembre 2019

À 20 h sauf samedi à 18 h et dimanche à 16 h

 

Durée 1 h 30

 

 

T2G – Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national

41, avenue des Grésillons

92230 Gennevilliers

 

Réservation au + 01 41 32 26 26

www.theatre2gennevilliers.com

 

 

 

Tournée :

 

Strasbourg, du 8 au 16 janvier 2020

À 20 h sauf le samedi 16 h et relâche le dimanche

TNS Strasbourg

1 Avenue de la Marseillaise

67000 Strasbourg

Réservation au + 03 88 24 88 24

www.tns.fr

 

 

Grenoble, du 11 au 15 février 2020

À 19 h 30 sauf les mardi et vendredi à 20 h30

MC2 Grenoble

4 rue Paul Claudel

38100 Grenoble

Réservation au + 04 76 00 79 79

www.mc2grenoble.fr

 

 

Besançon le 11 mars à 20 h et le 12 mars 2020 à 20 h 30

CDN Besançon Franche-Comté

Avenue Edouard Droz

Esplanade Jean-Luc Lagarce

25000 Besançon

Réservation au + 03 81 88 55 11

www.cdn-besancon.fr

 

 

Toulouse les 10 et 11 juin à 20 h, et les 12 et 13 juin 2020 à 20 h 30

Théâtre de Garonne – Toulouse

1, avenue du Château d’eau

31300 Toulouse

Réservation au + 05 62 48 54 77

www.theatregaronne.com

 

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed