À l'affiche, Critiques // Iphigénie, de Jean Racine, mise en scène de Chloé Dabert au T2G – Théâtre de Gennevilliers

Iphigénie, de Jean Racine, mise en scène de Chloé Dabert au T2G – Théâtre de Gennevilliers

Fév 23, 2019 | Commentaires fermés sur Iphigénie, de Jean Racine, mise en scène de Chloé Dabert au T2G – Théâtre de Gennevilliers

 

© Victor Tonelli

 

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

En sortant du Théâtre de Gennevilliers, je me suis demandé pourquoi Iphigénie ne suscitait pas chez nos metteurs en scène et directeurs de théâtre le même intérêt que Phèdre ou même Bérénice, car il faut bien convenir que la première est beaucoup moins montée que les deux autres. Cette mise à l’écart aurait-elle à voir inconsciemment avec la prédominance, toujours vivace, du patriarcat dans nos croyances, dans nos manières de pensée et nos systèmes de valeurs ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit pour peu que l’on fasse éclore ce qui sous-tend ce texte.

Il n’est donc probablement pas anodin que ce projet ait vu le jour en 2018, soit moins d’un an après l’affaire Weinstein, même si la feuille de salle n’y fait pas explicitement référence. Chloé Dabert indique simplement avoir voulu faire entendre pleinement ce que ce texte pourrait dire dans notre « aujourd’hui ». Et cela est, il faut le reconnaître, parfaitement réussi et percutant : le texte de Racine éclabousse notre actualité, épouse les lignes de faille qui secouent notre société, et accompagne de manière réflexive nos propres atermoiements.

Pour ceux qui ne seraient pas familiers de la mythologie grecque, Iphigénie est l’une des figures maudites de la famille des Atrides. Son père, Agamemnon, élu chef des princes coalisés, commandent aux armées parties guerroyer contre Troie pour venger le rapt d’Hélène. Leurs vaisseaux sont immobilisés sur les rivages de l’île d’Aulis attendant qu’un vent favorable, soumis au bon vouloir des dieux, leur permette de gonfler les voiles et d’atteindre Troie. Mais las ! Pas un souffle ! Le devin Calchas déclare à Agamemnon que seul le sacrifice d’Iphigénie pourra contenter les dieux, seul le sang d’Iphigénie versé sur l’autel achètera les souffles divins poussant enfin la flotte grecque jusqu’à la perfide Troie. Ce choix terrible est exposé dès la première scène par Agamemnon : sacrifier sa fille et satisfaire à son honneur et au destin, ou sauver sa fille et l’amour qu’il a pour elle au détriment des obligations que sa fonction lui impose, suivre la loi de la nature et protéger sa progéniture ou suivre la raison d’état et sacrifier sa descendance.

La pièce de Racine, qui répond à toutes les règles de la tragédie classique (unité de lieu, de temps et d’action), fourmille de tant de rebondissements, de contradictions et d’hésitations que chacun des personnages tentent de surmonter à sa façon, de stratagèmes, de confusions, de coups de théâtre, qu’elle pourrait sans pâlir servir de trame à l’une des séries en vogue que la télévision nous propose aujourd’hui. Dès le premier instant, un sentiment d’urgence et d’irrésolution gagne le spectateur, le faisant palpiter jusqu’au dénouement final.

Aboutissement d’une longue et profonde maturation depuis la création du spectacle au Festival d’Avignon en 2018, les acteurs ont atteint un tel degré d’incarnation et une telle qualité de dépôt du texte dans les corps et dans les affects, qu’ils peuvent nous donner à entendre hic et nunc le texte de Racine, et le faire résonner avec toute sa complexité dans notre contemporain. Et surtout, sans s’attarder sur la psychologie (même si elle peut être prépondérante dans le théâtre de Racine), le travail réalisé par Chloé Dabert et ses acteurs révèle et dessine ces structures sociales et psychiques associées à l’homme et à la femme, héritées d’un temps immémorial, que l’on pourrait finir par considérer « naturelles » et non construites : le souci de la gloire, l’ambition, la rivalité entre mâles (père / amant), la soumission des femmes intériorisant leur rôle subalterne jusqu’à n’être qu’une monnaie d’échange dans cette économie virile. De la domination masculine, pourrait être le sous-titre anachronique de cette tragédie.

On aurait envie de citer Bourdieu tant ce travail de dévoilement de l’illusio semble le mettre en pratique : Bourdieu souligne qu’il n’est pas d’intérêt qui ne soit une croyance, une illusion : « l’illusio, c’est le fait d’être pris au jeu, d’être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut la chandelle, ou, pour dire les choses simplement, que ça vaut la peine de jouer. » Jeu dont les règles sont entièrement construites par la société des hommes, ce qu’ils refusent de voir comme la poutre dans l’œil.

Jusqu’à l’ultime dénouement qui résout la question du choix initial par un tour de passe-passe dont la naïveté ne saurait ignorer les nouvelles questions morales et politiques qu’il pose : que penser du sauvetage d’Iphigénie par le sacrifice d’une autre femme, définie comme « étrangère », sans filiation ? Comment ne pas y voir aujourd’hui encore cette double peine imposée à certaines femmes : dominées parce que femme et méprisées parce qu’allochtone ?

C’est tout le bénéfice de ce spectacle qui agit en nous longtemps encore après sa réception.

 

Iphigénie, texte de Jean Racine
Mise en scène Chloé Dabert
Scénographie et vidéo Pierre Nouvel
Lumière Kélig Le Bras
Son Lucas Lelièvre
Costumes Marie La Rocca assistée de Peggy Sturm
Maquillage, coiffure Cécile Kretschmar
Assistante mise en scène Caroline Gonce
Avec Elsa Agnès, Yann Boudaud, Bénédicte Cerutti, Olivier Dupuy, Sebastien Eveno, Anne-Lise Heimburger, Julien Honoré, Arthur Verret

 

Durée 2h10
 
Tournée

Du 26 février au 2 mars 2019
Le Quai – CDN Angers Pays de la Loire
Le Quai, cale de la savatte, Angers
Réservation au 02 41 22 20 20
www.lequai-angers.eu

 

Du 5 mars au 10 mars 2019

 Célestins, Théâtre de Lyon
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
Réservation au 04 72 77 40 00
www.theatredescelestins.com

 

Du 14 mars au 15 mars 2019

Théâtre populaire romand
La Chaux-de-Fonds
Centre neuchâtelois des arts vivants
L’Heure bleue
Avenue Léopold-Robert 27
2300 La Chaux-de-Fonds
Réservation au +41 (0)32 967 60 50
www.tpr.ch

 

Du 19 mars au 20 mars 2019

La Passerelle Scène Nationale de Saint-Brieuc
Place de la Résistance
22000 Saint-Brieuc
Réservation au 02 96 68 18 40
www.lapasserelle.info

 

Le 23 mars 2019

Théâtre Louis Aragon 
24 boulevard de l’Hôtel de Ville
93290 Tremblay-en-France
Réservation au 01 49 63 70 58
www.theatrelouisaragon.fr

 

Du 28 mars au 29 mars 2019

Théâtre des Salins
Scène nationale de Martigues
19 Quai Paul Doumer
13692 Martigues

Réservation au 04 42 49 02 00
www.les-salins.net

 

Le 2 avril 2019

Théâtre Anne de Bretagne – Vanne – Palais des arts
Place de Bretagne
56019 Vannes

Réservation au 02 97 01 62 00
www.scenesdugolfe.com

 

Du 5 avril au 6 avril 2019

Théâtre de Saint-Quentin en-Yvelines
Scène nationale
Place Georges Pompidou
78054 Saint Quentin en Yvelines
Réservation au 01 30 96 99 00
www.theatresqy.org

 

Le 9 avril 2019

Théâtre de Chelles
Place des Martyrs de Châteaubriant
Chelles (77500)
Réservation au 01 64 21 02 10
www.theatre.chelles.fr

 

Le 12 avril 2019

Espace 1789
2/4 rue Alexandre Bachelet
Saint-Ouen (93400)
Réservation au 01 40 11 50 23
www.espace-1789.com

 

Du 16 avril au 19 avril 2019

Théâtre de la Cité – CDN
Centre dramatique national Toulouse Occitanie
1 rue Pierre Baudis
Toulouse (31000)
Réservation au 05 34 45 05 05
www.theatre-cite.com

 

Du 29 avril au 30 avril 2019

Le Trident
Scène nationale de Cherbourg-en-Cotentin
Place du Général de Gaulle
Cherbourg-en-Cotentin (50100)
Réservation au 02 33 88 55 55
www.trident-scenenationale.com

 

Le 10 mai 2019

L’Archipel
1 rue des Îles
Fouesnant-les-Glénan (29170)
Réservation au 02 98 51 20 24
www.archipel.ville-fouesnant.fr

 

Du 15 mai au 22 mai 2019

Théâtre National de Bretagne
1 rue Saint-Hélier
35040 Rennes
Réservation au 02 99 31 12 31
www.t-n-b.fr

 

 

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