© Elina Giounanli
ƒƒƒ article de Marguerite Papazoglou
Christos Papadopoulos a un nom tellement courant en Grèce que ça ressemble à une blague ! En revanche, la qualité et l’authenticité de son travail font éclat, c’est une évidence. Rapidement repéré par les réseaux de coproduction européens et justement encensé par la critique, c’est une perle rare de la danse contemporaine grecque. A l’instar de l’effet de ses pièces sur le spectateur, il subjugue. Son talent et sa chance c’est aussi de s’être entouré d’une équipe d’artistes dont la conjonction crée une force décuplée. Chacun, œuvrant de tout son talent pour la communauté, renforce à la fois sa propre voie et celle du groupe. Ion traite du collectif pour le mettre en question, en exposer comme au microscope les fonctionnements, les mouvements qui potentiellement l’instituent, le constituent et le défont à chaque instant.
Tout commence par un silence et une barre lumineuse horizontale puis un léger drone accompagne le bruit des petits pas des danseurs décrivant des courbes devant cette lumière. Nous ne voyons en ombres chinoises que les jambes d’êtres humains qui, tels des insectes ou des petits animaux, se manifestent d’abord par le fait qu’ils se déplacent, qu’ils vont. Puis à mesure que les pas deviennent plus glissés, crissants, feutrés puis silencieux, nous entrons dans une partition musicale minimaliste, extrêmement organique, puissante sans jamais recouvrir les corps des danseurs qui, eux, ne redécolleront plus les pieds du sol ni les yeux d’un objectif fixe (lieu d’arrivée ? projet ?) situé sur les spectateurs, face centre. C’est désormais dans un état méditatif multi-sensoriel que nous suivons les infimes variations et ruptures d’un Tout composé de la musique de Coti K, des lumières de Tassos Palaioroutas et des mouvements, le tout sculptant les corps et l’espace. Rarement la vibration de l’espace est aussi tangible, chaque centimètre a sa propre température, entre les corps qui soudain (mais comment et depuis quand ?) forment un groupe, maintenant à l’unisson ou maintenant à l’abandon, entre cette main et cette hanche, entre un bras et des côtes, entre cette tête et cette autre. Mouvements et positions dans l’espace changent sans cesse dans ce qui apparaît comme une évolution simple, entropique, profondément organique et personnelle, jusqu’au prochain saisissement (est-ce notre désir ?) face à une totale synchronisation. C’est de la dentelle ! Que se passe-t-il dans cette décision de s’accorder ? Qu’est-ce que cela représente ? Ces moments d’unisson polarisent les divergences, épaississent le milieu dans lequel évoluent les danseurs, nous attirent nous mêmes. Soudain nous en sommes, nous ressentons clairement la multiplicité de chacune des inclinaisons des membres des dix interprètes et de toutes ces colonnes vertébrales qui font leur travail d’onduler pour faire avancer… C’est comme si le temps lui-même devenait palpable, avec des arrêts et des accélérations : les danseurs, dans leur gestuelle oscillante les pieds au sol, semblent bouger en stop motion. Et cette série de clichés peut être tout autant une infinité de photos de magasines de mode mises bout à bout que des photos d’une actualité dramatique de foule fuyant la misère, d’une communauté rescapée ou enfermée et cherchant l’issue. Les expressions des danseurs sont si intimes qu’elles dépassent tout contexte particulier.
Chritos Papadopoulos s’inspire et parle volontiers d’études scientifiques sur les comportements sociaux animaux ou sur la configuration électronique des atomes ou des ions… et c’est vrai que tout cela n’est pas exclu des images méditatives auxquelles il prend soin de nous laisser vaquer en liberté, avec l’espace et le temps nécessaires, nous, spectateurs, tout comme ses danseurs, qui, tout en faisant tous « la même chose », doivent quand même chacun aller seuls ! Aller : eimi en grec ancien, dont la forme neutre du participe présent est ion. On en sort avec la sensation d’avoir marché longtemps et en bonne compagnie dans un partage silencieux mais profond, une pièce minimale, fougueuse et électrique.
© Elina Giounanli
Ion, concept et chorégraphie de Christos Papadopoulos
Dramaturgie Tassos Koukoutas
Musique Coti K
Lumières Tasos Palaioroutas
Costumes Angelos Mentis
Décor Evangelia Therianou
Assistantes du chorégraphe Katerina Spyropoulou, Ioanna Antonarou
Avec Maria Bregianni, Nanti Gogoulou, Amalia Kosma, Hara Kotsali, Giorgos Kotsifakis, Dimitra Mertzani, Efthymis Moschopoulos, Ioanna Paraskevopoulou, Alexis Tsiamoglou, Alexandros Varelas
Du 5 au 7 novembre à 20h
Théâtre des Abbesses
31 Rue des Abbesses
75018 Paris
Métro Abbesses ligne 12, Pigalle ligne 2
Réservation au 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com
Tournée :
Les Halles de Schaerbeek, Bruxelles
Rue Royale Ste Marie 22a
B-1030 Bruxelles – Belgique
Réservation au +32 (0)2 218 21 07 et reservation@halles.be
Les 7 et 8 décembre 2018
Le Lieu Unique, Nantes
Quai Ferdinand-Favre,
44000 Nantes
Réservation au 02 40 12 14 34 et www.lelieuunique.com
Les 27 et 28 mars 2019
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