© Christophe Raynaud de Lage

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Un quatuor à cordes arrive vraiment sur un plateau, au sens propre comme figuré, roulant vers nous sur un chariot tiré par un étrange personnage affublé, comme certains instrumentistes, d’originaux chapeaux ou sculptures de paille ou de jonc. Il est ensuite rejoint par sept autres danseurs et quatre chanteurs qui évolueront ensemble dans une scénographie envoûtante où dominent une projection de feuillages (et momentanément de cheval) sur les murs du bâtiment et une ambiance minérale et végétale complétant la vidéo, où aux pierres (trois à jardin, deux à cour) s’ajoutent différents éléments de décor en bois, dont des troncs qui apparaissent fugacement (un peu trop peut-être, leur donnant un côté artificiel, seul bémol du spectacle s’il faut lui en trouver un), tonalité qui vient trancher avec la primauté de noir et blanc des costumes et du tapis de scène. Là aussi aux sens propre et figuré. Car toute cette création semble être construite sur les oppositions et les paradoxes. À commencer par la musique. Si Bach prédomine et ne devrait pouvoir souffrir d’aucune altération, une création sonore vient perturber récurremment le déploiement de quelques cantate, partita, concerto brandebourgeois ou encore de L’Art de la fugue. Et c’est magique. Les éléments donnent l’impression de se déchaîner, dérèglement qui est un résultat de la folie humaine ou au contraire qui est à l’origine d’un réveil de l’animalité de l’espèce humaine ou de son retour, comme l’expriment le « fou » ou le religieux (Pep Ramis) dans sa « cape » de bure et les autres danseurs comme contraints tour à tour à hurler, se repousser, se déchaîner, se rouler par terre, mais aussi délivrer des poèmes (de John Berger et Erri de Luca) qui font sens.

Même dans les dissonances, tout est à l’unisson. Les corps traversent le plateau avec grâce (même dans les mouvements saccadés) et énergie, dans une technique parfaite mais ô combien discrète (María Muñoz est fabuleuse), les tessitures des quatre chanteurs s’entrecroisent, jouent harmonieusement avec les éléments qui se déchaînent, ou qui s’apaisent à l’image de l’effet produit par un « couple » de violonistes se rapprochant imperceptiblement et s’enlaçant chastement pour un « slow » a priori peu visible en fond de scène à Cour, mais qui ne peut être invisible que pour les cœurs les plus endurcis.

« Il est beau cet endroit. Ça pourrait être ici ». Ça a été ici incontestablement, dans la Cour du lycée Saint-Joseph après que ce troisième volet du Bach Project ait été créé en 2020 et soit passé à la Villette en 2020.

On aurait préféré une gratitude silencieuse à une nouvelle standing ovation accompagnant cette année quasiment tous les spectacles de l’édition. Car il est difficile de basculer dans le vrai monde après une telle harmonie polyphonique qui a régné jusque dans les saluts.

© Christophe Raynaud de Lage

Inventions du collectif Mal Pelo

Chorégraphie et interprétation : Leo Castro, Enric Fàbregas, Miquel Fiol, Ona Fusté, María Muñoz, Federica Porello, Pep Ramis, Zoltán Vakulya  Quatuor à cordes Joel Bardolet (violon), Daniel Claret (cello), Jaume Guri (violon), Masha Titova (viole) Quatuor à voix Giorgio Celenza (basse), Mario Corberán (ténor), Quiteria Muñoz (soprano), David Sagastume (contre-ténor, en alternance avec Hugo Bolívar)

Mise en scène : María Muñoz, Pep Ramis

Direction musicale : Joel Bardolet

Musique : Jean-Sébastien Bach

Scénographie : Pep Ramis

Lumière : Luís Martí, August Viladomat

Vidéo : Leo Castro

Espace sonore : Fanny Thollot

Son : Andreu Bramon

Costumes : CarmePuigdevalliPlantés

Textes : John Berger, Nick Cave, Erri de Luca

Assistanat à la mise en scène : Leo Castro, Federica Porello

Assistanat à la direction musicale : Quiteria Muñoz

Scénario : Pep Aymerich

Inventions

Cour du Lycée Saint-Joseph – Avignon

Jusqu’au 25 juillet, 22 h

Durée 1h10

www.festival-avignon.com

Tournée en France :

• Le 17 octobre à La Ramp-La Ponatière (Echirolles)
• Les 19 et 20 octobre à La Rose des vents Scène nationale Lille Métropole (Villeneuve-d’Ascq).

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